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Librairie Arcanes : la marque et la trace
Élodie Bonnafoux n’a pas eu peur de se lancer dans le secteur de la librairie en reprenant Arcanes, l’une des plus anciennes librairies de France et une institution dans la ville de Châteauroux. Elle a hérité d’une marque mais entend surtout tracer sa propre voie, entre exigence et esprit d’ouverture.
Le succès d’un commerce tient, en premier lieu, à son emplacement. Cet adage bien connu, Élodie Bonnafoux a pu le vérifier. C’est d’ailleurs le problème de la situation de sa boutique qui l’a poussée, à déménager, pour ouvrir fin juillet 2020, la librairie généraliste Arcanes de la grande rue de Châteauroux (Indre) à la rue de la Gare. « Nous n’étions entourés que de restaus et de bars, et étions le dernier commerce non alimentaire de la rue », explique la gérante. Ouverte quand les cafés et restaurants étaient fermés et inversement, le décalage d’activité de la boutique n’était plus tenable car la fréquentation s’en ressentait. « À terme, nous mettions en danger notre commerce car nous ne vivions plus que de nos habitués et du bouche-à-oreille », se souvient la directrice. « La situation était frustrante : le chiffre d’affaires était en progression constante, mais je savais qu’avec mon équipe, nous pouvions faire beaucoup mieux », analyse Élodie Bonnafoux. Il fallait, pour cela, voir plus grand et ailleurs dans la ville.

Consciente que l’avenir de la librairie était condamné dans cette artère dominée par la restauration, la Mairie de Châteauroux a favorisé le déplacement d’Arcanes, financièrement et par sa mise en relation avec le propriétaire des nouveaux locaux occupés par une agence immobilière. Le transfert a aussi été facilité par la CCI de l'Indre tant pour l’obtention d’un prêt à taux zéro que par l’implication du manager de centre-ville dans la recherche d’un lieu d’implantation en cohérence avec l’activité culturelle du commerce. Grâce, notamment, au concours de la CCI toujours, la dirigeante a aussi pu recruter trois apprentis. Le déménagement a également permis d’étoffer l’équipe de deux vendeurs supplémentaires, de multiplier par trois la superficie de vente (de 150 à 450 m²) et, par deux, le nombre de références, pour atteindre un volume de 30 000 ouvrages.
Souvenirs d’enfance
Mais la décision de quitter l’emplacement historique de cette librairie, véritable institution dans la ville, n’était pas pour autant évidente à prendre. Fondée en 1828, Arcanes est l’une des plus vieilles librairies de France. Si Élodie Bonnafoux n’a pas été impressionnée par cette dimension patrimoniale lors du rachat en 2011, elle a pu mesurer par la suite, au contact quotidien de ses clients, leur attachement à ce commerce. « Quand les habitant.e.s viennent me raconter leurs souvenirs d’enfance dans la boutique, on se rend compte qu’Arcanes fait partie du capital immatériel de la ville. J’ai vraiment pris conscience d’être la dépositaire de cette histoire que je poursuis… », analyse la directrice.
Cliente de la librairie, elle n’a pas hésité à passer de l’autre côté du comptoir quand elle a vu circuler l’annonce de la vente de la librairie. « Parfois il faut sentir les choses et ne pas avoir peur d’y aller. L’entrepreneuriat comporte aussi une part d’irrationnel… » Mais aussi de passion. Pour cette ex-cadre de la fonction publique territoriale à la Mairie de Châteauroux, comme pour bon nombre de personnes qui pensent un jour changer de boulot, l’idée de tenir une libraire trottait, depuis longtemps, dans un coin de sa tête. « Arcanes était certes vétuste mais elle avait un vrai potentiel de développement, ce qui n’est pas si courant dans les cas de reprise de librairie », explique Élodie Bonnafoux. Il lui fallait pour cela, glisse-t-elle, « réveiller cette belle endormie qui fonctionnait à l’ancienne, sans avoir, par exemple, de logiciel de gestion… ».
L’ouverture d’esprit n’interdit pas d’être exigeant
Cette passion pour l’univers de la librairie, cette linguiste de formation l’exprime simplement. Un goût prononcé pour la transmission – qualité essentielle, à ses yeux, pour être libraire – qu’elle a aiguisé avant d’exercer le métier en partageant, avec ses proches et amis, les bouquins qui allaient leur plaire. « J’ai toujours eu une propension à faire lire les autres, ce qui est l’essence même du rôle de libraire », commente-t-elle. Et de compléter qu’ « en étant libraire, on apprend à faire des ponts entre les auteurs, les styles et les genres, soulignant les parentés, pour se rapprocher au plus près du goût des lecteurs ».
Sa librairie, Élodie Bonnafoux la veut ouverte à tous et à toutes afin que chacun ou chacune s’y sente à l’aise. « On ne doit pas avoir l’impression d’être jugé quand on achète un livre. On en est revenu de cette vision d’un lieu réservé à une élite et d’un libraire détenteur du savoir. L’important c’est avant tout de lire ! Je ne suis pas là pour juger des choix des uns et des autres et encore moins la police du bon goût », affirme la gérante. Pour autant, elle ne renonce pas à « prendre parti » pour faire partager à sa clientèle les coups de cœur de son équipe, indépendamment de tous les classements, prix ou mises en avant des ouvrages dans les médias. « L’ouverture d’esprit n’interdit pas d’être exigeant », revendique la directrice d’Arcanes.
Une nuit entière
Avec cette philosophie, la gérante entend faire de son commerce « une librairie de quartier et de référence ». Une politique qu’elle applique au choix des animations dans sa boutique. L’établissement organise, de temps à autre, des ateliers d’écriture avec le concours de l’association " tu connais la nouvelle ? ". Elle a aussi imaginé des jeux de piste dans la boutique à l’occasion de la sortie du dernier album d’Astérix. Et plus étonnant, elle a proposé, trois fois déjà, à ses clients, de venir écouter une nuit entière, lues par Marc Roger comédien de l’association la voix des livres, des histoires, non pas à dormir debout, mais bien lovés dans leur sac de couchage. « Une expérience de lecture collective et partagée très chouette. Les comédiens se relaient pour lire et le public discute, débat en mangeant et en buvant un verre pendant les pauses », raconte Élodie Bonnafoux.
En agrandissant sa surface de vente, la librairie change de catégorie et de « braquet », enregistrant déjà, au cours de cette première année, une progression de 65% de son chiffre d’affaires. Pour accélérer son développement, elle a rejoint le réseau Libraires ENSEMBLE qui réunit des librairies indépendantes influentes dans leur zone de chalandise. « Cela m’a fait éviter des erreurs et gagner du temps », résume la gérante. De la même façon, l’entreprise a aussi voulu accroître ses ventes en ligne qui représentent, pour l’heure, moins de 5 % de son chiffre d’affaires. Elle a fait évoluer son site internet en ce sens et est présente sur les libraires.fr. « Cela nous permet de rester dans la course pour accrocher de nouveaux clients et ne pas en perdre », explique la gérante qui voit le numérique « comme un service supplémentaire proposé à nos clients, mais aussi, comme un moyen d’écouler nos ouvrages et de répondre ainsi à des demandes de livres en rupture de stock ».
Les petits chemins sinueux du savoir
Si elle savoure d’avoir pu réinvestir le centre-ville, Élodie Bonnafoux ne perd pas de vue la responsabilité de sa librairie hors les murs de la ville. « Nous sommes dans le Berry, un territoire rural, très peu pourvu en librairies. Nous accueillons, d’ailleurs, régulièrement dans la boutique des gens qui ont fait 50 kilomètres pour venir acheter des bouquins chez nous », constate la gérante d’Arcanes qui est la seule librairie labellisée LIR (Librairie Indépendante de Référence) du département par le Centre national du livre. Une façon, pour cette ex-fonctionnaire de la fonction publique territoriale, de continuer à tracer sa route à la tête d’Arcanes dont le nom résonne à ses oreilles comme une allusion « aux petits chemins sinueux du savoir, aux chemins de traverse que j’affectionne ».
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