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Vrai / Faux

Didier Ducrocq : « Le cédant ne mesure jamais la complexité, la durée et l’intensité d’un parcours de reprise d’entreprise »

Didier Ducrocq, conseiller expert en transmission d’entreprise et croissance externe à la CCI Eure-et-Loir accompagnant depuis 2006 une dizaine d’opérations chaque année, démêle le vrai du faux sur la transmission. Et éclaire, par la même occasion, les à priori et les idées reçues sur cet acte entrepreneurial.

Partie 2 

La transmission d’entreprise est une course de fond et d’obstacles.

Vrai

 

Didier Ducrocq

 

Le cédant ne mesure jamais la complexité, la durée et l’intensité d’un parcours de transmission. C’est clairement une course de fond dont il faut franchir les obstacles et mesurer les caps à franchir ce qui est le cas, par exemple, de l’accord sur le prix, l’accompagnement du repreneur par le cédant ou le calendrier de l’opération… Avec, à chaque fois, l’inquiétude finale quand la ligne d’arrivée est en vue. Même si tout est bouclé avec le repreneur, le cédant est toujours inquiet  : le banquier va-t-il accorder le prêt ? Le repreneur obtiendra-t-il bien la garantie BPI ? Les derniers audits ne vont-ils pas faire capoter la vente ?  

C’est à ce moment que les cédants prennent conscience, rétrospectivement, de la nécessité d’être accompagnés face à la complexité de la démarche. Et de sa longueur ! Car rappelons qu’un processus complet de transmission dure en moyenne de 10 à 12 mois quand il est bien préparé et sans difficultés majeures mais qu’il peut prendre deux années si les acquéreurs sont difficiles à trouver. Un processus qui dure trop longtemps peut avoir pour conséquence un risque de désengagement du cédant de la conduite de son entreprise. C’est, de fait, compliqué d’avoir en même temps la tête à la gestion de son affaire et à sa cession. 

La transmission, c’est au moment de la retraite.

Vrai et faux

 

La transmission pour cause de départ en retraite constitue encore la très grande majorité des motivations de cession. Dans mon département, un dirigeant sur deux a plus de 55 ans. D’ici 10 ans, le nombre d’entreprises à transmettre sera donc considérable. Cette clientèle de cédants est celle qui rassure le plus les repreneurs : le départ en retraite est une motivation naturelle qui ne risque pas de dissimuler des raisons de vente moins avouables… 

Mais, à côté des cédants futurs retraités, il y a aussi des dirigeants qui, au milieu de la cinquantaine s’interrogent sur le devenir de leur entreprise, sur l’énergie qu’il leur faudra pour continuer de porter leur affaire… Ils cherchent, dès lors, à s’adosser à une entreprise plus importante que la leur. Ils travaillent dans cette structure quelques années sans avoir à assumer la responsabilité de la diriger, avant de la céder totalement. 

« La confidentialité en matière de transmission est une règle absolue ! » 

L’usure de la direction d’entreprise conduit de plus en plus de dirigeants à transmettre pour prendre un peu de recul avant de repartir vers un autre projet entrepreneurial. La multiplication des crises récentes – énergétique, de l’approvisionnement et de recrutement – contribue à faire réfléchir les chefs d’entreprise quant à la poursuite de leur activité. Ces boites en pleine santé proposées à la vente peuvent d’ailleurs provoquer des interrogations chez les repreneurs potentiels qui se demandent pourquoi le dirigeant veut la céder… 

Il y a enfin deux dernières catégories de cédants. Ceux qui ont la clairvoyance de se dire qu’ils ont donné tout ce qu’ils pouvaient donner à leur entreprise et qu’ils ne sont peut-être plus, maintenant, les mieux placés pour continuer à la faire croître. Et enfin, il y a le cas d’entrepreneurs qui ont développé l’activité d’une entreprise qu’ils avaient reprise et qui, par ennui, veulent la vendre pour se projeter dans une nouvelle aventure. La preuve donc que la reprise est bien un acte entrepreneurial. 

La transmission d’entreprise, c’est le monde du silence.

Vrai

 

La confidentialité en matière de transmission est une règle absolue ! L’information sur une opération de ce type ne doit jamais s’ébruiter, sinon les fournisseurs, les clients et les salariés vont rapidement le savoir. L’incertitude sur le processus en cours et les interrogations sur le repreneur à venir peuvent entraîner la fuite des clients comme celle de certains salariés ce qui, dans un contexte de raréfaction des compétences, peut être une réelle source de complications. Cet ébruitement de l’information sur la place publique peut susciter des suspicions : à défaut d’acheteurs intéressés, le vendeur ne cherche-t-il pas à créer par tout moyen de l’intérêt pour sa boite ? La valeur de l’entreprise s’en trouve dès lors forcément affectée. Pour éviter ce risque, les cédants potentiels ont donc tout intérêt à faire confiance à des experts qui leur garantissent, je dirais « déontologiquement », le respect absolu de la confidentialité de leur intervention. Cet enjeu majeur, nous, les CCI, y sommes éthiquement attachés en raison de notre statut et de notre rôle reconnu de tiers de confiance. 

« Toute transmission est un leg » 

Cette notion de confiance, une confiance réciproque entre le cédant et la personne qui l’accompagne dans le processus, constitue l’élément majeur de la réussite d’une transmission. On dit d’ailleurs confier une mission de transmission. Ce lien solide entre le chef d’entreprise et son conseil est la condition sine qua non pour que la transmission aboutisse. 

La transmission, une période délicate psychologiquement.

Vrai

 

Le dirigeant a besoin d’un accompagnement humain car, dans ce moment de la transmission, il se sent vulnérable faute de connaissances sur ce qui l’attend. Il confie son destin à un tiers qui va conduire la démarche du début jusqu’à la fin. Alors que d’habitude, le dirigeant donne le « la » dans la conduite de ses affaires, il doit s’en remettre en l’espèce à une tierce personne. Psychologiquement, ce « lâcher prise » n’est pas facile à vivre !  

En tant que conseiller transmission, j’interroge le cédant sur son avenir dès mes premiers échanges avec lui. Que veut-il faire après la vente ? Certains le savent très précisément et cela me rassure : le processus de cession pourra suivre son cours. D’autres n’en ont aucune idée, cela sonne pour moi comme un signal d’alerte. Cela veut dire que le cédant risque, à tout moment, de faire machine arrière faute de projet personnel. C’est d’ailleurs pour cela que l’on voit encore des dirigeants de 70 ou 75 ans toujours en activité : leur boite c’est tout simplement leur vie et ils ne peuvent pas s’en dessaisir ! 

Par ailleurs, toute transmission est un leg. Le cédant ne vend pas seulement sa boite, il transmet au repreneur une grande partie de son histoire personnelle, voire familiale, avec les valeurs associées, la culture de l’entreprise, un collectif de travail… Tout cela est lourd, chargé d’affects. Dans le cas tout à fait particulier de la transmission d’une entreprise familiale, la dimension psychologique de la cession est particulièrement forte.  On rencontre deux cas de figure : le dirigeant peut vouloir épargner la charge lourde de la gestion d’une entreprise à ses enfants, ou inversement, il doit se faire une raison, constatant que ses descendants ne sont pas intéressés par la reprise et qu’en conséquence, il doit se résigner à vendre l’entreprise à une personne qui ne fait pas partie du cercle familial. 

« L’égo est un peu consubstantiel à la fonction de dirigeant d’entreprise » 

Mais cet aspect « psychologique » de la transmission peut aussi être positif. Le dirigeant peut décider de transmettre à un collaborateur qu’il a fait monter en compétences pendant des années et qu’il a accompagné pour prendre la suite. Cette transmission de savoir-faire est extrêmement valorisante pour le chef d’entreprise, c’est une fierté pour le cédant ! 

Le repreneur de son côté doit aussi mener un travail psychologique. Avant la reprise, celui qui n’était pas chef d’entreprise doit faire le deuil d’une vie où il n’avait pas tout à gérer, ce qui va devenir son quotidien. Il doit travailler sur lui-même pour savoir s’il est réellement prêt à endosser le costume de chef d’entreprise. Après la reprise, le tout nouveau dirigeant doit rapidement faire ses preuves, prouver qu’il est compétent et être prêt à être jugé par ses collaborateurs. 

La transmission, une guerre d’égos ?

Faux

 

En tout cas, la transmission ne devrait pas l’être ! S’il y a une guerre d’égos, elle peut être la cause de l’échec de l’opération. Elle peut se manifester pendant le processus de préparation de la transmission ou pendant l’accompagnement après la cession.  

Certes, l’égo est un peu consubstantiel à la fonction de dirigeant d’entreprise. Le cédant est fier de ce qu’il a construit et cherche un acquéreur à la hauteur. Il a donc légitimement une exigence à l’endroit de celui ou de celle qui va lui succéder. De son côté, le repreneur s’appuie sur ses succès et réalisations passées pour afficher une certaine confiance en lui, pour montrer qu’il est capable de relever le défi. De la confiance, mais attention pas d’arrogance ; c’est toute la nuance ! Il ne doit surtout pas laisser transparaitre qu’il aurait mieux fait que son prédécesseur. Il doit simplement rassurer de sa crédibilité, de sa capacité à reprendre, pérenniser et développer l’entreprise et ce, dès le premier rendez-vous. Durant la phase d’accompagnement, le cédant doit accepter de laisser le nouveau dirigeant occuper le premier rôle. Il doit avoir l’intelligence de se mettre en retrait et savoir, même si ce n’est pas facile, abandonner le pouvoir. Le repreneur doit pour sa part avoir l’intelligence de continuer à apprendre de l’ancien patron et de ses équipes.  


Retrouvez la première partie

Mis à jour le 23 mars 2023