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Vrai / Faux

Gabriel COLLETIS : La durabilité nous invite à sortir du modèle linéaire pour passer à l’économie circulaire

Les équipements vont-ils être, de plus en plus, réparés au lieu d’être remplacés ? Et vont-ils devenir plus durables ? Gabriel Colletis¹, professeur de Sciences économiques à l’Université de Toulouse Capitole et chercheur au Laboratoire d’Etude et de Recherche sur l’Economie, les Politiques et les Systèmes Sociaux de Sciences Po Toulouse, décrypte ces nouvelles pratiques de production et de consommation et met en perspective les enjeux de cette transformation qui pourrait déboucher vers un droit à la réparation.

Partie 2 : Les enjeux économiques de la durabilité

L’économie de la durabilité et l’économie du partage sont les deux faces d’une même pièce ?

Vrai

Gabriel-Colletis

Pour s’en convaincre, regardons le taux d’utilisation souvent très faible des appareils que nous possédons. Reprenons l’exemple du lave-linge que l’on utilise en moyenne cinq heures par semaine, ce qui représente un taux d’utilisation de l’équipement de seulement 3%. Dès lors, est-il nécessaire quand on est logé dans un habitat collectif que chaque occupant possède son propre lave-linge ou sèche-linge ? Il est possible, comme c’est le cas en Suisse par exemple, de mettre en partage dans un local commun ces appareils connectés aux appartements pour connaître leur disponibilité. Le bien devient ainsi à l’usage beaucoup moins coûteux et il est de plus couvert par un contrat d’entretien en cas de panne. D’ailleurs, les industriels eux-mêmes, face à des taux d’utilisation aussi faibles de machines ou d’équipements, préfèrent les louer plutôt que de les acheter.

On peut illustrer très simplement le lien entre durabilité et partage en se référant au modèle éprouvé des bibliothèques dont on redécouvre les vertus. On n’a pas besoin d’acheter tous les livres que l’on veut lire, on peut les emprunter. Mais pour que les livres résistent aux différents emprunts, il faut les protéger en les couvrant. Dans cette même logique, on assiste à un développement des boucles locales de partage entre voisins, notamment pour les outils de bricolage ou de jardinage. C’est la concrétisation d’un mouvement convergent rapprochant le souci écologique de l’économie des ressources et l’intérêt économique d’un meilleur contrôle de la demande par le partage de biens durables.

L’Union européenne porte un « droit à la réparation »² au bénéfice des consommateurs pour faciliter la réparation des biens plutôt que leur remplacement. Cet objectif impose aux industriels un exigence de transparence.

Vrai

Cette exigence de réparabilité mais aussi de transparence sur cette réparabilité est essentielle. Les fabricants devront s’engager à informer les consommateurs sur le niveau mais aussi sur les modalités de la réparabilité de leurs produits. Avec potentiellement la possibilité pour le client de pouvoir effectuer par lui-même la réparation. C’est donc aussi une invitation à la simplicité. Cette transparence nourrira la réputation de la marque et offrira un réel avantage concurrentiel. Soyons clair, c’est une démarche qui va pousser les industriels à expliquer à leurs clients comment sont conçus et produits leurs articles.

« Vous n’avez pas à construire votre réputation, vos clients s’en chargent. Plus besoin de payer des influenceurs, les consommateurs font votre promotion sur les réseaux sociaux ! »

La durabilité est la garantie d’une baisse de revenus des industriels.

Faux

Aucunement. L’augmentation des volumes de vente n’est pas l’alpha et l’oméga de la production industrielle. Le critère décisif est le seuil de rentabilité. Il peut être atteint avec un nombre de biens vendus plus faible dès lors que le prix et la valeur sont plus élevés. Ce que l’on perd d’un côté, on le gagne de l’autre. L’objectif est donc de produire mieux, donc de produire moins. Ce repositionnement stratégique en faveur d’une montée en gamme de la production sera bénéfique à l’économie française qui n’a pas vocation, me semble-t-il, à rivaliser avec les pays aux faibles coûts de production. Cela nécessite une main d’œuvre bien formée capable de produire des biens de qualité et des entreprises en capacité d’innover en concevant des produits moins complexes mais plus robustes. Correctement payés, les salariés pourront eux-mêmes avoir plus facilement accès à cette offre. C’est un cercle vertueux !

Ce choix de produire des biens écoconçus, réparables et donc plus durables aura aussi une incidence sur notre balance commerciale. Nous pourrons ainsi réduire notre dépendance actuelle aux importations en matière de biens d’équipement et de consommation de faible qualité et à l’empreinte carbone très élevée. L’INSEE le rappelle : 80 % des biens manufacturés utilisés par les ménages français sont importés ! Il y a donc des perspectives de développement importantes pour notre économie en produisant en France des articles à plus forte valeur ajoutée

Par ailleurs, en termes de revenus, l’avantage concurrentiel de la qualité des produits permet aussi d’économiser sur des dépenses de publicité ou de marketing équivalentes parfois au coût de la production. Le bon se vend naturellement bien. Vous n’avez pas à construire votre réputation, vos clients s’en chargent. Plus besoin de payer des influenceurs, les consommateurs font votre promotion sur les réseaux sociaux 

La généralisation voulue de l’objectif de réparabilité/durabilité annonce la recomposition de nouvelles filières industrielles mixant circuits de réparation, privés et associatifs, économie circulaire et économie d’usage.

Vrai

Non seulement, elle l’annonce mais elle en est la condition. Selon moi, si l’on veut recomposer de nouvelles filières industrielles en France, on doit repenser complètement le modèle de production en passant, comme on l’a dit, de la logique des volumes de vente à celle de la valeur et du jetable au durable. La durabilité nous invite à sortir du modèle linéaire pour passer à l’économie circulaire. Celle-ci inclut d’ailleurs la réparabilité des objets dans son mode de fonctionnement : on répare, on réutilise ou on réemploie selon les situations.

Concernant la filière de la réparation, on peut assister à un développement concomitant d’une part, d’une offre de réparation intégrée que proposeront les industriels avec la possibilité de favoriser pour ces services la formation de personnes éloignées de l’emploi et d’autre part, d’une offre de réparateurs indépendants dans les territoires générant des emplois non délocalisables. Les circuits de réparation associatifs devraient aussi croître. La répartition de ces modes de réparation complémentaires devrait s’opérer en fonction de la nature des équipements et de la complexité des interventions.

 

¹ Gabriel Colletis est l’auteur de « L’urgence industrielle », un plaidoyer pour la renaissance industrielle en France

² Projet de Directive de l'Union européenne sur le droit à la réparation


Pour en savoir plus

Réécoutez l'intervention d'Alain Di Crescenzo, président de CCI France, sur les vertus de la réparabilité au Salon Global Indutrie 2024

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Mis à jour le 9 avril 2024