1er accélérateur des entreprises

Vrai / Faux

Gabriel COLLETIS : « La durabilité est une question de bon sens »

Les équipements vont-ils être, de plus en plus, réparés au lieu d’être remplacés ? Et vont-ils devenir plus durables ? Gabriel Colletis¹, Professeur de Sciences économiques à l’Université de Toulouse Capitole, chercheur au Laboratoire d’Etude et de Recherche sur l’Economie, les Politiques et les Systèmes Sociaux de Sciences Po Toulouse, décrypte ces nouvelles pratiques de production et de consommation et met en perspective les enjeux de cette transformation qui pourrait déboucher vers un droit à la réparation.

Partie 1 : Les objectifs et conséquences de la durabilité

La réparabilité va devenir, à terme, la norme pour la production de tous les biens et équipements.

Vrai

La question de la réparabilité et, au-delà, du principe de durabilité des produits, se diffuse dans l’économie de façon irréversible. L’indice de réparabilité² qui deviendra indice de durabilité en 2025, verra effectivement la liste des produits visés s’accroître.

Gabriel-ColletisSe pose dès lors la question de savoir comment promouvoir cette démarche : par allongement de la liste des produits ou par l’enrichissement des critères plus nombreux et plus précis pour mesurer la durabilité des produits ? Pour ne pas noyer le consommateur sous les informations trop complexes, il faut avoir trois ou quatre marqueurs maximum, facilement lisibles, pour identifier la durabilité d’un produit de consommation. Prenons un exemple. Un lave-linge tombe en panne au bout de quatre années d’utilisation, donc hors garantie. Cela vaut-il le coût de le réparer sachant que la valeur résiduelle du produit a baissé depuis l’achat ? Le consommateur rationnel regarde le prix de la pièce détachée qui peut représenter un coût très important au regard de la valeur totale du bien. S’ajoute à cela le prix de la main d’œuvre. Il compare ensuite ces coûts à la valeur réelle de sa machine. Le consommateur sait aussi que la garantie du lave-linge réparé ne porte, pour l’heure, que sur la pièce remplacée. Je précise, pour le moment, car l’Union européenne vient d’adopter un projet de Directive très prometteur pour un « droit à la réparation »³ dont l’objectif est de faciliter la réparation par les consommateurs de leurs équipements et avec un meilleur rapport coût/efficacité. Cette Directive dont l’application est prévue à partir de 2026 étendra d’un an la garantie d’un appareil électronique ou d’électroménager réparé, contre six mois actuellement.

« La durabilité constitue bien une rupture qui invite à changer nos modes d’achat en consommant mieux, en privilégiant le durable au jetable, le temps long plutôt que le temps court en matière d’usage »

Dans son choix, le consommateur, toujours aussi rationnel, n’écarte pas non plus le risque de panne à venir alourdissant la facture finale. Il préfère donc opter pour le remplacement plutôt que la réparation de l’appareil. Pour faciliter le choix des consommateurs, on aurait pu ne retenir qu’un seul critère, celui de la garantie des produits. Entre un lave-linge de qualité garanti 15 ans, pièces et main d’œuvre, et une lave-linge, moins cher mais avec une garantie légale limitée à deux ans, l’arbitrage de l’acheteur serait plus simple et la durabilité plus lisible.

La durabilité constitue une rupture avec le mode de développement consumériste et productiviste.

Vrai

La durabilité constitue bien une rupture qui invite à changer nos modes d’achat en consommant mieux, en privilégiant le durable au jetable, le temps long plutôt que le temps court en matière d’usage. C’est d’ailleurs ce terme d’usage qui est à privilégier. Il faut développer la valeur d’usage plutôt que celle de la consommation. Je tiens à préciser que je ne suis partisan ni de la frugalité, ni d’un modèle de décroissance. Je ne veux retourner ni au lavoir, ni à la lampe à huile pour reprendre une fameuse métaphore présidentielle ! Je plaide pour la sobriété qui est, à mes yeux, une question centrale. Elle implique de produire moins d’équipements, avec les bénéfices associés pour la planète, mais des équipements qui durent plus longtemps.

« C’est la prime à la robustesse ! »

En faisant le choix de produits plus durables, les consommateurs recherchent tout autant à faire des économies qu’à diminuer leur empreinte écologique.

Vrai et Faux

Dans la conjoncture actuelle, les consommateurs cherchent, avant tout, à mieux maîtriser leurs dépenses et peuvent donc choisir les équipements les moins chers à l’achat. La préoccupation environnementale, même si elle est montante dans la société, n’a pas encore pris le pas sur la question du prix d’achat. C’est pourquoi des politiques publiques doivent être incitatives pour contribuer à réunir ces deux dimensions : économiser son argent et épargner la planète.

Le consommateur se comporte plus en homo economicus rationné (je n’ai pas les moyens de payer plus cher) qu’en homo economicus rationnel (le coût de la réparation est trop élevé donc je remplace).

Faux

La durabilité est une question de bon sens. Il est préférable de prendre en compte lors de l’acquisition d’un équipement la durée d’usage du bien et pas seulement le prix d’achat. Le dicton populaire « je n’ai pas les moyens d’acheter pas cher » trouve là toute sa pertinence. Renouveler l’achat de biens peu chers mais de piètre qualité peut, in fine, revenir cher, plus cher qu’un bien durable. Et sans parler des conséquences pour l’environnement des achats de ce type comme ceux des vêtements de très faible qualité que les clients jettent et renouvellent sans cesse. Cette « fast fashion » est en opposition totale à « la mode durable » qui utilise des ressources et une confection de qualité. Ces vêtements durables, potentiellement réparables, pourraient d’ailleurs, comme tout bien manufacturé, figurer dans la liste des produits couverts par l’indice de durabilité.

La réparabilité risque de scinder le marché en deux : ceux qui ont les moyens d’investir dans des biens durables et ceux qui n’ont pas d’autres choix que de privilégier le jetable.

Faux

Le prix élevé d’un équipement n’est pas nécessairement prohibitif et donc réservé à une minorité. Tout client est rassuré et convaincu de l’intérêt d’acheter un bien plus cher si sa robustesse est attestée par l’indice de durabilité et si la durée de la garantie est étendue. Et d’ailleurs, la probabilité pour qu’un équipement conçu avec des matériaux de qualité et bénéficiant d’une garantie d’une longue durée, tombe en panne à la fin de cette période est statistiquement faible. C’est la prime à la robustesse ! Par ailleurs, un banquier peut plus facilement consentir un prêt à la consommation pour l’achat d’un équipement dès lors qu’il est plus considéré comme durable. On peut aussi imaginer pour ce type de biens, des formules de location avec option d’achat comme pour l’acquisition d’un véhicule.

L’engagement en faveur de la durabilité est une lutte contre la représentation ancrée parmi les consommateurs d’une baisse tendancielle de la qualité des produits, voire de leur obsolescence programmée⁴

Vrai

Rappelons que l’obsolescence programmée constitue une pratique illégale et donc sanctionnable. Ce qui se joue, c’est surtout l’obsolescence de facto des équipements. La baisse progressive dans le temps de la performance n’est pas due à une volonté assumée des fabricants de rendre leurs articles obsolescents mais à l’absence de souci de durabilité de leur production.

L’indice de durabilité va permettre aux clients de faire leur choix sur la base de critères neutres, objectifs et compréhensibles par tout un chacun. On passera ainsi d’un rapport à priori de méfiance à un rapport fondé sur plus de confiance. Les avis et retours des clients sur leurs achats prennent déjà et devraient prendre encore plus de poids en corroborant ou en contredisant, en conditions réelles d’usage, les performances de l’indice. Face des produits jugés décevants, je crois beaucoup au pouvoir de non-achat des consommateurs.

 

¹ Gabriel Colletis est l’auteur de « L’urgence industrielle », un plaidoyer pour la renaissance industrielle en France.

² L’indice de réparabilité institué par la loi Anti-gaspillage pour une Économie Circulaire (AGEC) du 10 février 2020 s’applique à cinq catégories de produits : smartphones, ordinateurs portables, téléviseurs, tondeuses à gazon, lave-linges hublot. Cette liste s’est enrichie en novembre 2022 de quatre autres types de biens : lave-linges top, lave-vaisselles, aspirateurs, nettoyeurs haute-pression.

³ Projet de Directive de l'Union européenne sur le droit à la réparation

⁴ Interdite légalement, l’obsolescence programmée est caractérisée par « le recours à des techniques, y compris logicielles, par lesquelles le responsable de la mise sur le marché d’un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie ». La loi du 17 août 2015 définit cette pratique dans l’article 441-2 du code de la Consommation  et  la sanctionne dans l’article L 454-6 du code de la Consommation


Pour en savoir plus

block content
Mis à jour le 19 septembre 2024