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My Kaâkery ou la passion du bon
L’entrepreneuriat est parfois une course de fond. Souhila Boudra, formée à la pâtisserie chez Ferrandi et accompagnée par la CCI 93 pour formaliser son projet d’entreprise et enfin ouvrir sa boutique cinq ans après son CAP, en sait quelque chose. Retour sur le parcours d’une entrepreneure persévérante et déterminée.
Souhila Boudra vous reçoit avec un large sourire dans sa pâtisserie. Cet accueil ne laisse rien transparaître de sa détermination inflexible. Car il a fallu cinq ans à cet ex-graphiste en reconversion professionnelle, et surtout, beaucoup d’énergie et d’endurance depuis son CAP Pâtisserie décroché en 2019, avant d’ouvrir sa propre boutique à Montreuil (93) début octobre 2024.
Le sourire de la pâtissière dissimule aussi une timidité, pourtant peu à peu maîtrisée tout au long de son parcours entrepreneurial. « Même si j’ai dû parfois forcer ma nature pour y arriver, je n’ai jamais lâché pour atteindre mon objectif » confirme l’intéressée. Et l’objectif est atteint avec « My Kaâkery », une boutique tout à la fois pâtisserie, salon de thé, épicerie fine bio (pâte à tartiner, biscuits…) et bientôt atelier de cuisine. « My Kaâkery » une dénomination en forme de clin d’œil à ses origines algériennes (le Kaâk, célèbre petit gâteau du Maghreb) et au gâteau (cake) des pays anglosaxons. Souhila savoure enfin le plaisir d’y préparer dans son laboratoire des « trompe-l’œil », des classiques renouvelés au gré des saisons et de ses inspirations, mais aussi des gâteaux créatifs à thème pour célébrer des évènements. Avec comme trait d’union, le goût du bon.
Maîtriser les gestes des pâtissiers de métier
Comme souvent, la création d’une entreprise trouve sa source dans l’histoire familiale. « Je voulais tout simplement faire pour mes enfants des gâteaux naturellement bons, c’est-à-dire avec le moins de sucre possible et sans produit chimique » explique la mère de famille qui a abandonné un métier de graphiste dans lequel elle ne s’épanouissait pas pour élever ses enfants. De goûters d’anniversaire en gâteaux pour l’école, le talent de Souhila s’est rapidement fait connaître parmi les parents d’élèves qui, littéralement, ne perdaient pas une miette de ses pâtisseries. Au point de faire germer l’idée de faire de cette passion un métier. Mais un public bienveillant ne fait pas une clientèle.
Avant de tirer des plans sur la comète, elle avait conscience de devoir professionnaliser sa pratique. « Je cuisinais à ma façon, comme à la maison. Je voulais parfaitement maîtriser les gestes des pâtissiers de métier, sans parler de connaître aussi la réglementation de l’activité » affirme celle qui s’est alors tournée vers l’école Ferrandi de la CCI Paris Île-de-France, l’une des écoles de référence en matière de cuisine et de pâtisserie, pour y passer son CAP.
À 42 ans avec trois enfants en bas-âge, mais avec heureusement un époux et une mère bien présents, elle était la seule de sa promotion à être tentée par l’entrepreneuriat. « J’avais envie d’être indépendante et de faire ce que je veux, tout simplement ». Mais là encore, Souhila Boudra n’a pas voulu s’engager à la légère. Elle a donc rejoint début 2019 les rangs des stagiaires du Diplôme Universitaire Création d’Activité (DUCA), dispositif destiné à professionnaliser et à accompagner les porteurs de projet – le plus souvent un public en insertion professionnelle – pour devenir dirigeant de TPE. Avec au programme les fondamentaux de la gestion d’entreprise (stratégie commerciale, marketing, comptabilité, fiscalité…) et en ligne de mire, la réalisation d’un Business plan.
Courageuse et déterminée
Et c’est dans ce cadre que la route de Souhila a recroisé celle de la CCI. C’est Laetitia Albert, conseillère Création et Jeunes entreprises à la CCI Seine-Saint-Denis qui l’a accompagnée individuellement à la formalisation de son projet d’entreprise. La conseillère se souvient d’une stagiaire timide et manquant de confiance en elle. « La concurrence de l’offre abondante sur les réseaux sociaux de gâteaux faits à la maison et donc à prix cassés, la perturbait » se souvient Laetitia Albert qui l’a rassurée sur la pertinence de son projet qui reposait sur la production de pâtisseries de qualité à juste prix et non pas à prix trop juste. La conseillère de la CCI a été convaincue de l’envie d’entreprendre de Souhila Boudra.
Sa forte détermination l’a d’ailleurs conduite à créer son entreprise en septembre 2019 avec l’idée, à l’origine, de proposer des gâteaux personnalisés sur demande. « Elle voulait vraiment avoir son laboratoire pour faire ses propres créations en s’appuyant sur son sens de l’esthétique mais, ajoute Laetitia Albert, elle savait aussi écouter les conseils comme celui de ne pas négliger les points de revente de sa production dans des magasins partenaires ».
Des conseils qui l’ont aussi amener à réviser ses plans comme ceux de ne penser vivre que de la vente de gâteaux à la commande, forcément aléatoire, ou de vouloir installer sa boutique à Bagnolet pour des raisons de proximité sans prendre en considération la zone de chalandise. « C’est vrai qu’on a le nez dans le guidon quand on se lance, on a son objectif en tête sans voir forcément tous les obstacles et les autres voies possibles pour y arriver » reconnait Souhila. La réalité du marché de l’immobilier d’entreprise a aussi douché ses espoirs de trouver rapidement un local pour son activité dans un territoire où les baux commerciaux sont rares et chers.
« Mais elle n’a pas baissé les bras car elle est courageuse et déterminée comme la plupart les entrepreneurs que nous accompagnons »
commente la conseillère de la CCI.
L’épidémie du Covid passé, Souhila Boudra a poursuivi sa recherche active d’un local – son obsession – envisageant dans un premier temps de rejoindre une cuisine partagée. « Mais ce ne sont pas les deux paquets de biscuit faits maison vendus par jour ou un gâteau anniversaire de temps en temps qui allaient me permettre de payer les 400 euros de loyer pour une demi-journée… soupire la pâtissière qui reconnait que, moralement c’était parfois dur mais je n’avais pas d’autre choix que de tenir le coup et de m’accrocher ! ».
Le soutien de son époux et l’aide de sa mère qui se sont occupés de ses enfants, lui ont été fort heureusement d’un grand secours pendant ce long parcours entrepreneurial. La créatrice a ainsi pu continuer à consolider son projet. Sur les conseils de la CCI, elle a poussé d’autres portes : l’incubateur dédié à la restauration Baluchon situé à Romainville pour tester des recettes dans des conditions de travail professionnelles, et l’association Germinal qui appuie des entrepreneurs issus d’un parcours d’insertion sans négliger les financeurs... Elle a ainsi décroché un prêt d’honneur de France initiative.
« Je sais que vous, vous allez réussir !
Vous y croyez et vous êtes convaincante »
Forte de ses premiers bénéfices engrangés en animant des ateliers pâtisserie dans une enseigne spécialisée dans la cuisine d’un centre commercial et de ses ventes de gâteaux pendant les marchés des artisans/créateurs et ceux de Noël quatre années durant, elle a pu, avec confiance, solliciter un prêt bancaire. Son objectif : financer le lancement de son activité et la remise en état du local qu’elle a enfin trouvé à Montreuil, loué par l’office public du territoire Est Ensemble Habitat.
Même si les travaux étaient importants pour adapter une pharmacie de quartier vétuste en pâtisserie/salon de thé accueillante et aux normes d’hygiène et de sécurité, l’entrepreneure se réjouissait de pouvoir installer son activité dans une ville réputée pour ses commerces privilégiant les circuits courts et les produits de qualité. La porteuse de projet était aussi fière de pouvoir présenter au banquier les 15 000 euros générés pendant ses années d’activité et soigneusement épargnés pour l’ouverture de sa boutique.
Et l’entrepreneure de sourire en se souvenant du commentaire du conseiller bancaire qui lui a octroyé son prêt : « je vois passer beaucoup de projets et avant même de regarder vos comptes, je sais que vous, vous allez réussir ! Vous y croyez et vous êtes convaincante. »
« Rendre le bon accessible au plus grand nombre »
Et réussir dans son nouveau quartier. « Je vois des clients de tous les âges, y compris des jeunes du coin qui traversent la place pour leur trompe-l’œil ». La pâtissière s’enorgueillit de « rendre le bon accessible au plus grand nombre » et « d’avoir aussi pu recruter une apprentie habitant au-dessus de la boutique pour la seconder. » La dirigeante peut ainsi consacrer tout son lundi à gérer l’administratif et la communication de son entreprise. Elle ne manque d’ailleurs pas les occasions de faire la promotion de ses créations « très Instagrammables » sur les réseaux sociaux (TikTok et Instagram en tête, mais aussi Facebook et LinkedIn).
« Elle prend soin de renouveler sa gamme de gâteaux individuels pour fidéliser sa clientèle. Elle doit maintenant s’organiser en conséquence pour pouvoir répondre à des commandes importantes de gâteaux personnalisés. Ce sont deux enjeux essentiels pour la pérennité de sa petite entreprise » encourage Laetitia Albert. L’entrepreneure entend aussi profiter de son « labo » pour organiser des cours de pâtisserie. « À condition de pouvoir créer un site internet pour gérer les réservations et les paiements en ligne » prévoit la dirigeante qui met, petit à petit, les choses en place. Ce sera l’occasion de continuer à transmettre et partager sa passion du bon…