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Zoé Pellicier, fondatrice de « 3e manche » : « Moins de jetable, plus de durable : une autre façon de consommer… »
C’est le parcours sans faute de carre de Zoé Pellicier, une jeune savoyarde, monitrice de ski à Albiez-Montrond dans la Vallée de la Maurienne. A 23 ans, ayant tout juste décroché son Master en « entrepreneuriat et développement durable », elle s’est lancée dans la création d’une entreprise dans le secteur de l’économie circulaire. Son créneau et crédo : l’upcycling français. Elle donne une seconde vie aux tenues des moniteurs des écoles de ski retirées du circuit en les transformant en accessoires pour la ville, le sport et la maison. Sociale, locale et responsable, 3e manche a plus d’un atout... La jeune monitrice revient sur son aventure entrepreneuriale.
3e manche, une référence à… Le nom de l’entreprise est un double clin d’œil. Au ski, tout d’abord, l’univers d’origine de la marque. La troisième manche est la seconde chance accordée aux jeunes skieurs qui veulent améliorer leur temps lors d’une compétition. D’où l’idée, avec 3e manche, d’offrir une seconde vie aux tenues des moniteurs de ski qui sont renouvelées tous les deux ans. Et bien évidemment, le nom de la boite est aussi une référence à une partie du vêtement traité, à la matière première de la démarche d’upcycling.
Pour vous lancer, vous avez sollicité la CCI Savoie. Quel a été son apport au service de votre projet ?
J’ai pu bénéficier d’un accompagnement individuel dans le cadre du dispositif JLMP, Je Lance Mon Projet¹, offert par la CCI Savoie pour vérifier la faisabilité et la viabilité de mon projet de création d’entreprise. La conseillère de la CCI, Marie Baudoin, m’a permis de m’assurer de l’adéquation de ma proposition avec le marché et m’a fourni des outils pour structurer mon business plan. Elle m’a aussi indiqué très concrètement toutes les étapes à suivre pour créer administrativement mon entreprise car j’étais complètement perdue ayant étudié en Allemagne. J’ai pu ainsi me lancer en y allant pas à pas, dans ma station au début, avant d’élargir mon périmètre après avoir testé mon offre et intégré les retours de la clientèle.
L’irritant : des tenues sans avenir ! Comme monitrice de ski, Zoé s’est demandé ce que devenaient les tenues des 20 000 moniteurs de ski des différentes écoles de ski de France. Ces combinaisons floquées ne peuvent, de fait, ni être données, ni être vendues. Certains moniteurs – agriculteurs ou artisans – peuvent les conserver pour leur activité professionnelle en dehors des cours de ski, mais cela n’épuise pas le stock. Si elles ont, un temps, été envoyées à l’autre bout du monde (comme au Népal par exemple) avec un bilan carbone désastreux, les combinaisons étaient, le plus souvent, tout simplement détruites… Une aberration pour l’étudiante en master « entrepreneuriat et développement durable » qui a planché sur la question dans le cadre de son mémoire de fin d’étude et qui a trouvé la solution dans l’économie circulaire. La proposition est séduisante. Il s’agit de transformer ces déchets en ressources et en l’occurrence en accessoires divers : des fanions et des pochettes pour le ski, des porte-clés, des housses d’ordinateurs, mais aussi des sacs, des coussins, des porte-gourdes, des bobs et jusqu’à des trousses de toilette… Avec comme fil conducteur, la créativité !
Quel est le modèle économique de 3e manche ?
J’ai voulu créer 3e manche, ma marque d’upcycling d’anciennes tenues professionnelles des moniteurs d’écoles de ski, pour leur donner une seconde vie. La revalorisation de ces matériaux à hauteur de 90 % est donc respectueuse de l’environnement en réduisant la quantité de déchets. Et les produits ainsi créés le sont localement pour limiter la pollution liée au processus de fabrication.
« 80 % de nos ventes se font en ligne tout au long de l’année, contre seulement 20 % dans les magasins des stations de ski pendant la saison »
Les premiers articles produits – des fanions à médailles et des pochettes à carnet de cours – étaient directement tournés vers l’activité sportive et achetés par les familles pour leurs enfants inscrits dans l’école de ski. Les suivants ciblaient une clientèle plus diversifiée et pour des achats tout au long de l’année. La matière première vient de la montagne, c’est l’ADN de la marque et ce qui fait qu’elle est reconnaissable. Mais l’usage et le positionnement de nos produits dépasse la pratique des sports d’hiver. L’essentiel de notre gamme est composé d’accessoires vestimentaires, de maison ou de toilette et s’adresse donc à une clientèle qui ne pratique pas nécessairement le ski. D’ailleurs, 80 % de nos ventes se font en ligne tout au long de l’année, contre seulement 20 % dans les magasins des stations de ski pendant la saison. Le pourcentage s’est inversé par rapport au début de mon activité.
Quant à nos acheteurs, ils sont en grande majorité situés en région parisienne. Notre engagement éco-responsable est certes valorisant et constitue un argument de vente mais c’est d’abord, selon moi, la qualité, l’originalité et l’esthétisme des articles qui font la différence. Nos coussins, par exemple, sont confortables et résistants, particulièrement bien adaptés à l’extérieur car réalisés à base de tenues conçues pour un environnement hostile, humide et froid. Idem, nos trousses de toilette, constituées en recyclant des bâches de matelas de protection de télésiège ou de téléski, sont tout aussi résistantes et imperméables. Ces trousses sont en tête de vente surtout pendant les fêtes de fin d’année. Et elles ne sont pas toutes rouges ! Nous recyclons des tenues de toutes les écoles des stations qui ont leurs propres couleurs et celles de l’équipe de France de ski alpin avec parfois des tissus originaux allant du vintage au bleu jean.
Ces exemples démontrent notre volonté de diversifier les matériaux utilisés. Ils sont, pour l’heure, issus de l’activité de montage mais pourraient aussi à l’avenir venir d’autres univers dès lors qu’elles sont des tenues professionnelles. J’entends aussi diversifier mes gammes d’articles et investir de nouveaux marchés. Diversification mais aussi personnalisation des produits en faisant, par exemple, figurer le nom de la station de son choix sur le produit en souvenir d’un séjour en montagne.
L’entreprise coche plusieurs cases :
Responsable
Dans une économie des sports d’hiver peu écologique (transport, énergie…) et une industrie textile adepte d’un mode de production traditionnel, 3e manche entend revaloriser redonner de la valeur à des déchets.
Locale
La transformation des combinaisons collectées principalement dans les stations alpines (désassemblage, lavage, tri et confection) est réalisée dans la région (Loire, Rhône et Savoie). Cette confection locale limite donc la pollution liée au transport des matériaux et articles.
Solidaire
La jeune entreprise fait travailler un atelier de réinsertion professionnelle situé près de Lyon et des couturières indépendantes.
Vos produits se distinguent par leur originalité mais comment votre marque reste-elle concurrentielle sachant que vous produisez localement et en petites séries ?
Effectivement, nous devons faire preuve de créativité et d’imagination pour valoriser au mieux et au plus les matériaux que nous récupérons des stations de ski. Et ce n’est pas toujours évident au départ. Par exemple, je ne savais pas comment réutiliser les capuches des tenues de ski car on ne peut pas les remettre à plat pour les travailler. Je me suis dit qu’elles avaient une forme de banane et c’est devenu un sac banane très solide. Mais pour concevoir de nouveaux articles je m’appuie aussi sur les retours de nos clients qui nous font part, via Instagram et TikTok, de leurs attentes et désirs. J’essaie de capter ainsi les tendances du marché. Et puis l’avantage des petites séries est de pouvoir mesurer très rapidement le succès de tel ou tel produit sans avoir à gérer des stocks importants.
« Moins de jetable, plus de durable. Une autre façon de consommer… »
Concernant notre compétitivité, nous sommes évidemment plus chers que les fabricants de produits à bas coût importés, même si une grande partie de nos matériaux ne nous coûte rien. Sur notre créneau de l’upcycling, nous avons fait le choix de produire en France et même localement, et non d’externaliser notre production dans des pays à plus faible coût de main d’œuvre. En produisant dans notre territoire et en petite série, on peut s’adapter plus rapidement aux besoins et attentes de la clientèle qui s’y retrouve aussi en termes de qualité de finition et de durabilité de produits qui, par ailleurs, sont tous uniques. Et puis, il y aussi l’engagement éco-responsable et solidaire qui a un coût. Mais nous portons des valeurs que nos clients partagent. Moins de jetable, plus de durable : une autre façon de consommer.
3e manche en quelques chiffres :
Depuis novembre 2022 (création de l’entreprise) :
- 1 500 combinaisons récupérées auprès des écoles de ski
- Entre 3 000 et 4 000 articles produits (quasiment tous écoulés)
- 90 % de taux de recyclage des tenues
- De 85 % à 100 % d’upcycling (les articles vendus conçus presque totalement à partir de matériaux recyclés)
- 30 000 euros de chiffre d’affaires en 2024
- 80 % des ventes en ligne et 20 % en vente directe (magasins, marchés…)
Quels sont vos projets de développement ?
Ma priorité est de développer mon offre BtoB. Je prévois de produire des articles pouvant être personnalisés au nom d’une société et servir ainsi de cadeaux d’entreprise. J’ai testé ; cela marche. Il faut que je mette les bouchées doubles sur ce créneau sans négliger mon objectif d’accroître mes ventes en ligne en BtoC en menant des actions marketing aux périodes clés comme les fêtes. Pour ce faire, je vais continuer à publier des vidéos sur TikTok et Instagram. Certaines vidéos ont comptabilisé entre 400 000 et 600 000 vues. Ça se traduit pour partie en termes de vente par la suite….
Après, à plus long terme, j’aimerai bien évidemment avoir des locaux et une équipe dédiée. Le but étant aussi d’automatiser la production grâce à des machines et d’accélérer ainsi le développement de l’entreprise.
¹ JLMP, le dispositif savoyard est devenu maintenant Structurer mon projet