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Le Spot Du Linge : coup de projecteur sur un commerce original
Attendre que le linge ait fini de tourner dans la machine, Cécile Joyeux a voulu changer de programme. Elle a innové en créant un lieu unique : Café - Laverie & Plus (d’activités). Ce concept original et innovant lui a permis de décrocher le 2 octobre, le Mercure d’Or 2023 du Challenge national du commerce et des services porté par le réseau des CCI. Découverte du parcours d’une entrepreneure volontaire et opiniâtre.
D’habitude, on lave son linge sale en famille. Au Spot Du Linge, situé à Bayonne dans le quartier Saint-Esprit près de la gare, c’est entre amis ou avec des inconnus qu’on est invité à le faire ! Cette invitation de Cécile Joyeux, la fondatrice et gérante de cette laverie unique en France, est, de fait, originale. Au lieu de perdre son temps à regarder tourner son linge en machine dans un espace aseptisé et peu confortable, autant en profiter pour prendre un café ou une boisson en dégustant un « cookie » en lisant le journal ou un bouquin, autant jouer à des jeux de société ou écouter des musiciens ou tout simplement encore papoter dans un cadre agréable. Et jusqu’en octobre 2022, on pouvait même s’offrir un coupe de cheveux et des soins de manucure dans ce lieu atypique. Avec le Spot, le linge n’est plus une corvée en quelque sorte.
« Créer un lieu convivial… Et pourquoi pas dans une laverie »
Un lieu atypique pour un parcours d’entrepreneure, lui aussi, peu commun. Comment une ingénieure d’affaires travaillant pendant une quinzaine d’années dans une société de services et d’ingénierie en informatique (SSII) dans le secteur de la banque et de la finance en région parisienne a-t-elle pu se retrouver dans ce commerce au Pays basque ?
Comme certains, l’envie de quitter la vie parisienne la titillait au point de penser à ouvrir un gîte en Charente-Maritime. Mais c’est finalement un peu plus au sud qu’elle se décide en 2016 à franchir finalement le pas. « Je voulais faire un reset, une réinitialisation complète dans une région inconnue » explique l’ex-consultante en informatique. Avec une idée en tête, celle de « créer un lieu convivial ». C’est en étendant le linge sur son fil à linge qu’un matin, le déclic lui vient : « et pourquoi pas dans une laverie ? »
Je voulais faire un reset, une réinitialisation complète dans une région inconnue
« Enthousiaste, peut-être aussi un peu naïve mais sans appréhension face à cette région à forte identité que je ne connaissais pas, je me suis lancée dans cette aventure qui était aussi familiale ; mon fils aîné, adolescent à l’époque, a trouvé le nom et le plus jeune a réalisé le logo » raconte Cécile Joyeux qui a cependant, aussi, pris soin de solliciter des experts de l’accompagnement des projets d’entreprise. Et en premier lieu, la CCI Bayonne Pays basque. « Catherine Soubirous, conseillère en création et reprise d’entreprise, m’a permis de débroussailler le projet, d’y voir plus clair, en me posant des questions très précises et très concrètes sur l’activité attendue de la structure en vue d’établir un business plan cohérent » se souvient l’entrepreneure. Et de citer en vrac le nombre de kilos de linge à laver, de machines à acheter et de clients qui ouvriront la porte de la boutique le premier jour. « On n’y pense tout simplement pas à ces questions quand on se lance » reconnait-t-elle.
Un concept tellement innovant…
Les jalons de son projet posés, la très dynamique entrepreneure a ensuite sollicité les conseils - « très précieux » dixit l’intéressée – d’ « Andere Nahia », association dédiée à l’accompagnement des femmes portant des projets de création ou de reprise d’entreprise, dont le nom en français signifie « volonté de femmes ». Un qualificatif qui convient bien à Cécile Joyeux. Grâce à l’appui de France Active, le réseau de finance solidaire, elle a ensuite pu finaliser économiquement son projet et décrocher des subventions pour l’achat des machines à laver indispensables au démarrage de son activité. Cécile Joyeux a aussi su faire preuve de ténacité pour trouver un banquier partant pour la suivre dans l’aventure, après avoir affronté de nombreux refus… « C’était tellement innovant comme concept, celui d’un espace beauté dans une laverie, que je ne peux pas en vouloir à ceux qui n’y ont pas cru » assure la porteuse de projet.
Pour l’emplacement, la créatrice d’entreprise a longuement hésité avant de jeter son dévolu sur celui de la gare de Bayonne. Fin 2018, elle décide d’ouvrir sa boutique dans ce quartier populaire qui n’avait pas encore de laverie. « Mon ambition, créer un lieu différent pour réunir les gens du quartier, un lieu où l’on se sent bien, un peu comme à la maison, équipé de meubles et d’objets de décoration chinés à droite et à gauche. A l’opposé en somme d’une laverie automatique ou d’un espace commercial impersonnels » résume, convaincue, la fondatrice.
Mercure d’Or 2023 catégorie « innovation et qualité »
Après tout juste six mois d’activité, on lui propose de participer au concours "Talents des cités" qui récompense des initiatives porteuses de lien social. « C’est à ce moment que je découvre que mon commerce était installé dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ». Elle décroche le prix régional, puis national « Entreprise innovante dans un quartier sensible ». Quatre ans plus tard, le 2 octobre 2023, elle obtient le Mercure d’Or du Challenge des commerces et des services organisé par le réseau des CCI, et toujours dans la catégorie « innovation et qualité ». « Ça doit être la preuve de mon opiniâtreté » sourit la lauréate.
Entre les deux dates, la directrice de la jeune entreprise a dû affronter la crise du Covid-19 qui a eu un gros impact sur sa trésorerie et régler la voilure de sa structure. « J’ai sans doute vu trop grand, trop vite en multipliant les services proposés, du lavage et du repassage mais aussi des prestations de coiffure et de manucure, concède la fondatrice qui reconnait, que ces prestations de beauté ont alourdi sa masse salariale et plombé sa trésorerie. » C’était aussi la quadrature du cercle de trouver des coiffeuses et des esthéticiennes, rémunérées à la hauteur de leur diplôme et qui acceptent entre deux rendez-vous de faire des machines ou de servir des cafés… Elle a donc rectifié le tir pour se recentrer sur une double activité laverie et café/salon de thé, louant en 2020 une licence IV pour pouvoir servir des boissons alcoolisées. Un choix payant puisque 65 % du chiffre d’affaires est désormais réalisé par la partie bar du commerce.
Compétitif au niveau du prix des prestations de laverie, assurées en ayant recours à des lessives labellisées « Écocert », le Spot Du Linge entend aussi se distinguer par la qualité des boissons et des en-cas proposés, bio et locaux. Mais les clients qui n’ont pas le temps de consommer sur place peuvent également récupérer le soir en rentrant leur linge lavé, séché, repassé. Toujours dans cette logique de services à la carte, la dirigeante envisage de mettre en place un système de collecte et de livraison du linge dans des points relais de l’agglomération bayonnaise. Les projets et l’énergie ne manquent pas à cette entrepreneure qui se qualifie de « poulpe de service, tout à la fois au four et au moulin » et qui se dépense sans compter. Au point de frôler la rupture…
L’entrepreneure estime avoir appris son métier et de son expérience
Des recrutements trop nombreux et des prestations en décalage avec les attentes actuelles de la clientèle ont fragilisé sa trésorerie aux allures de montagnes russes et sa situation financière personnelle. Pour la première fois cette année, la dirigeante a décidé de se verser un salaire. En conséquence, elle a dû assumer seule pendant sept mois, du jeudi au dimanche, la gestion de la boutique en lieu et place des trois personnes en poste auparavant…
Regardant dans le rétroviseur, l’entrepreneure estime avoir appris son métier et de son expérience. Elle a appris à recruter autrement via notamment des dispositifs qu’elle juge très efficaces comme l’Action de formation préalable au recrutement de France Travail (ex. Pôle Emploi) pour remettre le pied à l’étrier à des demandeurs d’emploi prêts à apprendre de nouvelles compétences. Mais elle a aussi appris à déléguer et à faire confiance. « Cela s’apprend effectivement et c’est même nécessaire à la poursuite de l’aventure » assure celle qui refuse d’être considérée comme patronne mais plutôt comme coordinatrice de l’entreprise. L’avenir du Spot Du Linge ? C’est – dès l’instant qu’elle pourra dégager l’équivalent d’une année de chiffre d’affaires en trésorerie – l’ouverture d’une deuxième boutique en espérant pouvoir compter pour cela sur un salarié prêt à s’investir. Et pourquoi pas, le moment venu, développer le concept en franchise ?
Mais lucide, la dirigeante de 47 ans est consciente qu’il est temps, pour elle et comme pour la structure, de trouver un associé pour l’aider à porter l’affaire. « J’ai toujours des gris-gris dans l’estomac parce que je crois à ce que je fais mais, sincèrement, je ne peux plus tout gérer toute seule… » concède Cécile Joyeux. Avis aux investisseurs motivés pour relever ce Challenge du commerce.