« La compétence, une condition indispensable à la réussite de la stratégie des entreprises »

Quel a été votre parcours professionnel ?

Dorothée Delerue, Coordinatrice des opérations régionales en Ressources Humaines (RH) et du dispositif ARDAN en Hauts-de-France

Après un Master en Ressources humaines, j’ai commencé mon parcours au sein d’Auchan dans des activités commerciales. J’ai ensuite travaillé pendant un an et demi, au sein d’une Mission locale, dans l’accompagnement des entreprises en vue d’y intégrer des publics en insertion. En 2012, j’ai intégré la CCI Hauts-de-France en tant que conseillère Ressources Humaines. J’ai travaillé sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et réalisé des Diagnostics RH dans les PME et TPE de la région.

Conséquence d’une réorganisation des CCI de la région, l’activité RH a dû ensuite se transformer en centre de profit. Cela nous a conduits à élaborer une offre de prestations RH payante et à nous constituer en un réseau de conseillers experts que j’anime pleinement depuis janvier 2023. Ce faisant, nous nous sommes positionnés comme les cabinets de conseil privés en ne réalisant plus uniquement des diagnostics mais aussi des prestations d’accompagnement dans des entreprises que nous pouvons identifier plus facilement que les opérateurs privés.

« Cette performance de la ligne métier RH a inspiré d’autres départements de la CCI »

Justement, quelle est votre offre de services ?

Pour lancer notre activité en direction de cette catégorie d’entreprises, nous avons profité du volet formation du dispositif BOOSTER TPE porté par la Région des Hauts-de-France et qui vise à faciliter la mise en place de solutions adaptées aux besoins et contraintes de ces petites structures. Nous avons ainsi pu, grâce à ce financement régional, fournir aux TPE les outils de base de la GRH comme des modèles de fiches de poste, d’entretiens annuels d’évaluation, des mémos d’aide au recrutement, à l’animation de réunions ou à la communication par exemple. Nous avons ensuite participé à un programme soutenu par la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, la DRETTS, sur la conduite du changement.

Dans le cadre de cette action expérimentale sur les transitions des entreprises, nous avons pu réaliser des diagnostics sur deux jours et établir des plans d’action pour les accompagner pendant cinq jours tant sur les RH que sur d’autres champs d’intervention comme la performance commerciale ou la finance en mobilisant les experts de la CCI. Le dispositif fonctionnant bien, nous l’avons reconduit sur deux sujets importants pour les TPE. Il s’agit d’une part, de l’amélioration de la marque employeur spécialement dans l’industrie qui cherche à attirer des candidates vers des emplois qui, rappelons-le, ne sont pas réservés aux hommes. Il s’agit d’autre part, du recrutement et du maintien dans l’emploi des seniors.

Notre réseau composé de 15 conseillers RH répartis dans les sept territoires de la région travaille, aussi pour des OPCO, « mobilité » et « santé » en particulier. Cette performance de la ligne métier RH a inspiré d’autres départements de la CCI puisque la même organisation, visant la rentabilité de l’offre et la montée en compétences des conseillers par le travail en réseau, a également été adoptée dans les domaines du numérique, de la performance commerciale et de la finance.

La prégnance des questions de gestion des ressources humaines dans toutes les entreprises en raison des pénuries de compétences et des difficultés de recrutement a sans doute contribué à mettre en lumière votre action ?

Effectivement. L’appui-conseil aux entreprises du territoire pour les aider à attirer, à recruter et à fidéliser les collaborateurs est crucial. Et il est vrai que l’on a constaté une évolution de l’image de la fonction RH. On en avait une représentation administrative et comptable. La valeur et la rareté de la compétence, qui est une condition indispensable de la réussite de la stratégie des entreprises, a montré l’importance pour les PME et TPE d’investir dans la gestion des ressources humaines.

Votre action d’appui-conseil aux entreprises est-elle uniquement individuelle ?

Non, pas seulement. À côté de l’offre individuelle à la carte et conçue en fonction du besoin de l’entreprise, nous souhaitons aussi créer du lien entre les entreprises dans chacun des territoires. Nous avons des temps collectifs sous la forme d’ateliers en présentiel pour lesquels nous faisons intervenir des cabinets sur des thématiques d’actualité. Nous organisons aussi beaucoup de webinaires et une masterclass RH mensuelle sur la marque employeur des petites entreprises.

Intervenez-vous aussi dans les entreprises en difficulté ?

Nous avons été effectivement missionnés par la DRETTS lors de la fermeture de l’entreprise Bridgestone en 2021 à Béthune. Nous avons accompagné une soixantaine de sous-traitants du fabricant de pneus qui ont été fortement touchés par la perte de leur principal client. À cette fin, nous les avons aidés à faire évoluer les compétences de leurs collaborateurs. Nous soutenons aussi les entreprises du secteur du nucléaire, parties prenantes à la construction de trois EPR nouvelle génération. Cela représente un potentiel de recrutement de 20 000 personnes dans les 10 prochaines années, ce qui est considérable pour le territoire.

Face aux pénuries de compétences, avez-vous une offre spécifique d’accompagnement ?

Il y a de fait de fortes pénuries de compétences dans la région. Depuis juin 2023, nous portons en Hauts-de-France le dispositif ARDAN, Action Régionale pour le Développement d’Activités Nouvelles qui est financé par la Région. Ce dispositif qui existe depuis plus de 30 ans, a fait ses preuves dans d’autres régions pour faciliter l’intégration des demandeurs d’emploi en PME. Le principe de ce dispositif est simple : un demandeur d’emploi, quel que soit son statut de cadre ou de non-cadre, propose un projet utile à déployer sur six mois à une entreprise qui n’a pas en interne les compétences pour le réaliser. Dans ce cadre, la moitié du salaire de la personne est prise en charge par ses indemnités chômage. En parallèle de sa mission, le demandeur d’emploi dénommé « pilote» suit un parcours de formation hybride, en distanciel et en présentiel, pour obtenir un titre d’entrepreneur de la petite entreprise de niveau V qui est une reconnaissance de son rôle de chef de projet. La personne bénéficie aussi d’un crédit d’heures de formation de 1 700 euros pour compléter ses connaissances.

« ARDAN permet de rendre le coût du recrutement acceptable financièrement pour l’entreprise et d’évaluer l’apport de la recrue »

Le pilote est suivi tout au long de sa mission par un conseiller ou une conseillère RH de la CCI. Et cela marche : 80 % des missions ARDAN se concluent par un CDI ou un CDD de plus de six mois. Pour que la mission réussisse, nous veillons à la présence d’un certain nombre de critères : en premier lieu la santé financière de l’entreprise, mais aussi l’histoire et le projet de l’entreprise, les perspectives de croissance avec un prévisionnel en termes de budget, et bien sûr, le profil de la personne recherchée et les objectifs qui lui seront assignés avec leur échéancier. Le dispositif constitue une réelle aide à l’investissement dans de nouvelles compétences pour prospecter de nouveaux marchés, développer une nouvelle gamme de produits ou pour épauler le dirigeant. C’est notamment une solution intéressante pour les personnes en reconversion ou les futurs repreneurs d’entreprise.

On sait bien que pendant les six premiers mois de son arrivée, une personne est dans une phase d’apprentissage pendant laquelle elle n’est pas rentable. ARDAN permet de rendre le coût du recrutement acceptable financièrement pour l’entreprise et d’évaluer l’apport de la recrue. Et cela est particulièrement apprécié par la cible de ce dispositif. 90 % des 130 dossiers déposés en moyenne chaque année concernent des entreprises de moins de neuf salariés et pour des postes principalement de commerciaux, production ou management/gestion achat. La formule de formation et d’insertion offre aussi l’avantage de mettre à jour des besoins d’accompagnement complémentaires que la CCI peut assurer. C’est une clé d’entrée dans l’entreprise.

Mais ARDAN, ce sont aussi de belles histoires. A titre d’exemple, une entreprise de la région a tellement adhéré au dispositif qu’elle en est à sa sixième mission ARDAN. Cinq collaborateurs sont toujours présents dans l’entreprise dont l’un d’entre eux est devenu l’associé du dirigeant !

Pour en savoir plus

le dispositif ARDAN