1er accélérateur des entreprises

Paroles d′expert

« Faire prendre conscience aux entreprises de leur dépendance aux énergies fossiles et trouver avec elles les moyens de s’en défaire »

Responsable projet Décarbonation à la CCI Normandie, Guillaume Ouinas met en lumière les enseignements tirés de la mission d’évaluation et de réduction des gaz à effet de serre conduite par les CCI de la région. Sur cette base, il livre des conseils aux entreprises pour mener à bien leur processus de décarbonation.

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Sommaire

    La méthode

    Avec quelle méthode les entreprises peuvent-elles aborder le sujet de la décarbonation ?

    Le processus de décarbonation doit être le suivant : sobriété d’abord, efficacité ensuite, puis substitution.

    Elles commencent parfois par la substitution en investissant dans des panneaux solaires ou des véhicules électriques plutôt que d’agir en premier lieu sur des leviers plus simples et souvent moins coûteux. Autrement dit, elles ont tendance à vouloir mettre la charrue avant les bœufs !

    Prenons un exemple concret susceptible de s’appliquer à toute entreprise. Vous abaissez la température de vos locaux d’un degré, vous diminuez mécaniquement votre bilan carbone… et accessoirement votre facture d’énergie sans que cela ne vous coûte. Pour gagner en efficacité, vous pouvez ensuite décider de mieux isoler votre bâtiment pour continuer de faire des économies. Et après ces actions, et seulement après, vous pouvez décider si votre bâtiment s’y prête, de remplacer votre vieille chaudière au gaz par des panneaux photovoltaïques.

    Les actions concrètes

    Concrètement, quelles actions les entreprises peuvent-elles conduire pour limiter leurs émissions de carbone ?

    Regardons concrètement ce qui peut être fait par type d’émission de gaz à effet de serre.

    Les sources d’émissions directes du scope 1 sont faciles à identifier. On s’intéresse aux modes de combustion utilisés dans l’entreprise pour chauffer le bâtiment ou pour produire. S’agit-il d’énergies fossiles comme le fioul ou le gaz ? Et en matière de déplacements professionnels des collaborateurs, les véhicules de l’entreprise roulent-ils au gasoil ou à l’essence ? 

    Au niveau des actions, l’entreprise peut décider de passer d’une chaudière au fioul ou au gaz à un raccordement à un réseau de chauffage urbain, récupérer la chaleur fatale dégagée par sa production ou assurer – ce qui est une obligation légale – une bonne maintenance de ses circuits de refroidissement. Elle peut aussi préférer des fours électriques qu’une production au gaz. Et pour la mobilité, passer à une flotte de véhicules hybrides ou électriques. Les indicateurs du scope 1 sont identifiables et mesurables et l’entreprise a la main pour faire baisser le volume de ses émissions. 

    Les émissions indirectes du scope 2 sont tout aussi simples à évaluer même si c’est finalement le bilan du fournisseur d’énergie qui est analysé, pas celui de l’entreprise consommatrice. Au niveau des actions, on peut agir en privilégiant une énergie dite « verte » comme du biogaz au lieu du gaz traditionnel pour faire baisser son bilan carbone.

    Les choses se compliquent pour l’identification des émissions du scope 3 qui couvre tout ce qui ne fait pas partie des deux autres scopes. Sont visés tous les flux entrants et sortants de l’entreprise : la matière et son transport vers et depuis l’entreprise, les achats de services, l’activité numérique, mais aussi l’immobilier, les déplacements domicile-travail des collaborateurs, l’utilisation et la fin de vie des produits… 

    « On surestime nécessairement, au départ, l’impact carbone de l’entreprise, faute de données précises (…) Mais, de bilan en bilan, la photo sera de plus en plus nette. »

    Pour le calcul de ces émissions, on peut procéder à des estimations quand la donnée n’est pas fiable. Autant dire, que le taux d’incertitude est élevé dans le scope 3. Et d’une certaine façon, ce n’est pas très grave ; ce qui compte c’est le processus qui conduit à affiner l’évaluation des pratiques et leur amélioration progressive. Pour réduire les émissions dans le périmètre du scope 3, l’entreprise peut analyser sa politique des achats en comptabilisant en équivalent carbone l’impact des produits ou prestations de ses fournisseurs. On peut aussi organiser des plans de mobilité interne en incitant les collaborateurs au covoiturage, en participant au financement de moyens de transport propres comme des vélos ou des trottinettes à assistance électrique ou en donnant accès à ces moyens de locomotion de façon partagée.

    On surestime nécessairement, au départ, l’impact carbone de l’entreprise, faute de données précises pour tous les postes d’émission. Mais, au fur et à mesure, en interrogeant plus régulièrement les pratiques internes et externes à l’entreprise, la mesure des émissions de gaz à effet de serre sera plus précise. De bilan en bilan, la photo sera de plus en plus nette. 

    Le bilan carbone s’améliorera aussi par le changement progressif de comportement des acteurs économiques. La chaîne de valeur reliant les entreprises peut, à ce titre, avoir un effet de cercle collectif vertueux. Ce qui est en jeu, c’est de faire prendre conscience aux entreprises de leur dépendance aux énergies fossiles et trouver, avec elles, les moyens de s’en défaire pour tendre vers une forme de résilience accrue. 

    Le point de bascule

    Si l’on vous comprend bien, les actions les plus efficaces en termes d’émissions de gaz à effet de serre ne sont pas les plus faciles…

    Le scope 3 cumule effectivement trois inconvénients. Il pèse tout d’abord, à lui seul, pour les ¾ des émissions de gaz à effet de serre en moyenne. Le recueil des données peut par ailleurs être difficile car il ne concerne pas que l’entreprise elle-même mais ses fournisseurs et sous-traitants également. L’évaluation est donc longue : de six à huit mois pour les trois scopes. Et enfin, troisième limite, le levier d’action est infime car il nécessite une prise de conscience collective des entreprises reliées entre elles.

    Les achats des uns sont, de fait, les ventes des autres. Le scope 3 peut donc aussi avoir un effet d’entraînement pour évaluer plus précisément les émissions de gaz à effet de serre liées à l’activité réelle des entreprises.

    Seul le scope 3 permettra le basculement vers une économie décarbonée. Au passage, je suis convaincu que les entreprises n’attendront pas d’être soumises à une obligation légale pour agir. Le marché les fait déjà bouger. Si les donneurs d’ordre et les plus grandes entreprises veulent continuer à réduire leurs émissions, ils doivent s’atteler à leur scope 3. En conséquence, les plus petites vont, de fait, s’y mettre mécaniquement, et ce, pour conserver leur clients avant toute considération environnementale…

    Le sujet de la décarbonation est de plus en plus partagé par les entreprises qui ont tout intérêt à monter dans le train dès cette année. Elles éviteront ainsi d’avoir à agir sous la contrainte de la réglementation ou sous la pression de leurs clients qui ne voudront plus attendre. Elles se donnent le temps d’affiner leurs bilans carbone et d’engager des actions qui peuvent prendre du temps à produire leurs effets. 

    Surmonter les difficultées

    Comment rassurer les TPE et les PME pouvant avoir l’impression que la démarche est complexe ?

    La première chose à faire est de ne pas hésiter à se faire accompagner. Le réseau des CCI lance d’ailleurs cette année son opération décarbonation avec des outils comme son diagnostic carbone simplifié « LISE » qui permet de disposer d’une première estimation, simple et rapide, de son empreinte carbone sur les scopes 1 & 2. Pour ensuite aller plus loin et faire un bilan carbone complet, il est utile de solliciter l’expertise d’un consultant spécialisé dont la mission peut durer, selon la complexité de l’activité, entre dix et quinze jours homme. 

    Rappelons en termes de méthode qu’un bilan carbone comporte trois temps :

    • la photo à un instant T des émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise,
    • l’objectif de réduction à moyen et long terme qu’elle se fixe
    • et le plan d’actions qu’elle met en place pour l’atteindre.

    Pour décider des actions à conduire, les décideurs peuvent les évaluer à l’aune de quatre critères :

    • la faisabilité de l’action,
    • son impact carbone,
    • sa temporalité,
    • et son coût.

    Cela permet de prioriser les interventions.

    Le panel de solutions est large et les choix dépendent des moyens et de l’ambition de chaque entreprise mais aussi des caractéristiques, notamment de l’offre de transport, de son territoire. 

    « La réalisation d’un bilan des émissions de gaz à effet de serre permet de repenser globalement et précisément le fonctionnement de l’organisation »

    Le principal obstacle à la décarbonation n’est pas la complexité de la tâche mais le temps qu’il faut mobiliser en interne pour la mettre en œuvre. À titre d’exemple, ce sont 12 collaborateurs des CCI qui ont été impliqués pour une partie de leur temps dans la conduite de notre BEGES aux côtés du consultant. Mais ce n’est vraiment pas du temps perdu ! Vous n’imaginez pas tous les enseignements que l’on peut tirer de cette analyse en détail de toutes les activités de l’entreprise… La réalisation d’un bilan des émissions de gaz à effet de serre permet de repenser globalement et précisément le fonctionnement de l’organisation. À ce titre, un bilan carbone est donc aussi une opportunité en termes de différenciation et d’amélioration de sa compétitivité.

    Les bénéfices de la décarbonation

    Justement, quels sont, selon vous, les bénéfices principaux générés par une démarche de décarbonation ? 

    J’en vois quatre : le business, la compétitivité, l’image et le financement

    Sur la conduite des affaires, l’entreprise qui décarbone ses activités renforce ses relations commerciales avec ses clients et donneurs d’ordre. Cette différenciation par rapport aux concurrents permet aussi, bien évidemment, d’aller chercher de nouveaux clients. 

    La décarbonation contribue également à améliorer la compétitivité de l’entreprise qui est, de fait, moins affectée par la volatilité du marché de l’énergie. Elle maîtrise donc mieux ses coûts de production ou de ses déplacements professionnels. De plus, en passant en revue les zones à risque en termes d’émission de gaz à effet de serre, l’entreprise apprend à mieux les anticiper pour maintenir sa compétitivité.

    « On ne peut pas continuer à financer une économie carbonée en espérant qu’elle se transforme d’elle-même. »

    La décarbonation contribue aussi à améliorer son image environnementale tant vis-à-vis de ses clients que de ses prospects. Cet engagement est aussi valorisé sur le marché de l’emploi en rendant l’entreprise plus attractive pour les candidats. Les salariés et les partenaires de l’entreprise dans le territoire y sont aussi sensibles. 

    Parmi ces partenaires, figurent les banques qui sont, elles-mêmes, tenues d’appliquer la réglementation. L’essentiel de leur bilan carbone relevant du scope 3, elles interrogent donc leurs clients sur leurs pratiques en matière de responsabilité sociale d’entreprise. Et cela peut avoir une incidence sur les prêts bancaires, majorés pour les entreprises qui ne décarbonent pas leurs activités. Les assureurs pourraient d’ailleurs emprunter la même voie compte-tenu de la charge croissante des risques assuranciels.

    Sur le principe, cela se comprend : on ne peut pas continuer à financer une économie carbonée en espérant qu’elle se transforme d’elle-même. L’accès au crédit peut donc être incitatif. De la même façon, les investisseurs sont aussi de plus en plus regardants sur les pratiques environnementales des entreprises qui contribuent à leur valorisation, notamment boursière pour les plus grandes. Dernier aspect du volet financement, l’octroi des aides publiques de certaines Régions est déjà conditionné au niveau d’engagement RSE des entreprises. Le bilan carbone pourrait être logiquement à l’avenir intégré dans ce périmètre.

    Règlementation et financement constituent deux leviers du changement vers une économie décarbonée. Cela envoie des signaux clairs sur les objectifs à atteindre par les entreprises qui ont besoin de visibilité pour s’engager. Stratégique pour les entreprises, la décarbonation leur permet aussi d’être plus résilientes face aux conséquences énergétiques des crises géopolitiques.

     

    La première partie de l'entretien ici :

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    Pour allez plus loin

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    Mis à jour le 9 avril 2025