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« Romainville… suspendue ! » labellisée « Année de la gastronomie »
Deux achetés, un offert. Le principe du café suspendu appliqué à divers produits a vu le jour à Romainville, en Seine-Saint-Denis. Retour sur la gestation de ce projet qui a reçu une reconnaissance nationale dans le cadre de l’appel à projets « Année de la gastronomie » lancé par le Gouvernement pour valoriser la gastronomie dans toutes ses dimensions.
Comment trois nouvelles structures – un fromager, une ferme urbaine et un restaurant – tout juste installées à Romainville ont pu, en deux temps trois mouvements, lancer le projet « Romainville...suspendue ! » de dons de produits qu’ils proposent à la vente et recevoir en mars 2022 la reconnaissance du label « Année de la gastronomie » ? Pour le savoir, suivons le camion jaune…
Tout a pris forme place de la Fraternité à Montreuil, en Seine-Saint-Denis. C’est là, en pleine vague de la cuisine de rue et dans l’attente d’ouvrir une boutique dans un immeuble à construire sur la place, qu'Éric Legros a garé, le 9 septembre 2016, son « cheese-truck ». Ce camion à fromages jaune qui ne passait pas inaperçu se distinguait aussi par sa vocation. L’ancien éducateur spécialisé dans le handicap mental, devenu fromager après s’être formé au métier dans diverses fromageries de France, a décidé de faire de son espace de vente le premier « cheese-truck » solidaire de France.
Dans une ville qui comptait déjà une boulangerie proposant « la baguette suspendue » et sur cette place de la fraternité, la bien nommée, « fréquentée par des dealers, des SDF et des pigeons » dixit le fromager, Éric Legros a appliqué à son activité le principe des cafés suspendus, inventé à Naples dans l’immédiat après-guerre. Tout client peut acheter un fromage pour une personne dans le besoin qui vient ensuite le récupérer de façon anonyme.
Mixité sociale
Le fromage suspendu était né. « Comme les clients pouvaient choisir d’offrir n’importe quel fromage du camion, je pouvais recevoir les bénéficiaires comme des clients, en mettant à leur disposition une variété de produits qu’ils n’avaient pas à payer. Cela n’a l’air de rien mais cela change la relation en la rendant plus digne » confie le commerçant. Et de revendiquer « la dimension sociale, politique et éducative » de sa démarche. La gentrification de Bagnolet et de Montreuil a attiré vers son camion une clientèle de « bobos » adepte des commerces de proximité et partisane de la mixité sociale.
Six ans plus tard, les valeurs de partage et de solidarité véhiculées par le camion ont continué leur chemin. Éric Legros n’a pas ouvert son magasin à Montreuil mais une boutique à Saint-Denis en novembre 2019 et une autre à Romainville en septembre 2021, sans oublier son site de vente en ligne, tous trois sous la même bannière, « Place au fromage ». Et c’est à Romainville qu’il a repris son idée en y associant deux autres structures de son quartier : « la Cité Maraîchère », une serre verticale de maraîchage écologique portée par la municipalité, et le café-cantine « Les Cheffes » hébergé dans cette ferme urbaine. Les trois acteurs portent de conserve un projet ambitieux intitulé « Romainville...suspendue ! » enrichissant l’offre de produits à donner. Le plateau de fromages comprend aussi maintenant des champignons produits par la Cité Maraîchère et des boissons et des pâtisseries du café-cantine « les Cheffes ». Ce projet partagé a été labellisé dans le cadre la saison 2 (le printemps) de « l’Année de la gastronomie » dont le thème portait sur la gastronomie inclusive et bienveillante.
Comme une fête des voisins
Un encouragement pour les partenaires et une reconnaissance de la pertinence d’une idée portée depuis des années par Éric Legros qu’il a dû parfois défendre et expliquer. Avec une vingtaine de fromages achetés et donnés par mois, il est clair qu’il ne s’agit pas là d’un modèle économique viable. Le commerçant a pourtant entendu des critiques à peine voilées de certains qui lui reprochaient « ce coup de marketing social » lui permettant de vendre, de facto, plus de fromages. Des remarques qu’Éric Legros balaye d’un revers. « Je sais ce que l’on peut en penser mais je m’en fiche car je sais pourquoi je le fais, tout simplement ». Et il veut croire que les vertus de son action sauront convaincre d’autres commerçants Romainvillois et leurs clients de s’engager à leur tour, comme l’ont fait ses deux partenaires de « Romainville...suspendue ! ».
Avec en tête, l’idée de créer dynamique de rencontres et de mixité sociale induite par le principe de dons anonymes. À cet égard, il se souvient du premier banquet fraternel lancé à Montreuil en juin 2017 et renouvelé ensuite chaque année afin « de passer un bon moment ensemble ». « Chacun apportait de quoi manger ou boire comme dans une fête des voisins. Mais ces voisins, contributeurs et les bénéficiaires du fromage suspendu, ne se connaissaient pas ! Résultat : entre les bobos au look soigneusement débraillé et les personnes dans le besoin soucieuses de leur apparence, on ne savait pas vraiment qui était qui et c’était tant mieux ! » raconte Éric Legros
Une chaîne de solidarité
Une initiative que les trois partenaires de « Romainville...suspendue ! » ont reproduit le 14 mai 2022 en organisant un apéro fraternel à la Cité Maraîchère. Cette ferme verticale ouverte dans un quartier prioritaire de la politique de la ville en février 2021 était le cadre idoine pour cet événement revendiquant les valeurs de partage et de générosité. Composé de deux tours d’une surface totale de 500 m2 dédiée à la production urbaine de fruits et de légumes, l’espace valorise une alimentation durable et solidaire et est aussi un chantier d’insertion. « Notre participation à la démarche Romainville...suspendue ! allait de soi pour nous. Que nos clients, aux moyens le plus souvent limités et qui bénéficient de tarifs sociaux importants avec des réductions pouvant aller jusqu’à 75 % du prix des produits, puissent, à leur tour, offrir des légumes à d’autres personnes dans le besoin, je trouve ça super » défend Yuna Conan, la Directrice de la Cité Maraîchère. C’est en quelque sorte une invitation à participer à une chaîne de solidarité et de poursuivre la dynamique initiée lors du Noël solidaire organisé dans le restaurant « Les Cheffes » le 24 décembre 2021 qui a permis d’offrir à 63 personnes un repas de Noël.
Comme l’explique Hawa Touré, l’une des cogérantes avec Lauranne Sambar et Léa Letellier du restaurant « Les Cheffes » qu’elles ont ouvert ensemble en octobre 2021 après s’être rencontrées en apportant leur aide et soutien à des personnes sans domicile fixe dans le cadre de maraudes, toutes ces actions sont « la démonstration que la solidarité au quotidien fait sens et qu’elle peut ensuite, si nécessaire, grandir avec l’appui des responsables politiques locaux ».
« Le label est d’abord pour nous une façon d’acter, d’officialiser notre engagement commun dans cette démarche de solidarité. C’est le déclencheur d’un processus »
encourage le fromager à la barbe foisonnante d’idées. Sur l’ardoise du collectif imaginatif : le réaménagement d’une friche en jardin de productions comestibles, la mise en place d’un frigo solidaire pour rendre accessible et de façon discrète les produits ou repas invendus, et, déjà programmé pour début septembre 2022, l’organisation d’une journée de formation des habitants du quartier à la transformation des productions estivales en conserves. Cette dernière idée, les partenaires vont la creuser en vue d’une nouvelle participation à la saison estivale de « l’Année de la gastronomie ». Ou comment continuer de faire vivre au quotidien « le partage et le vivre ensemble » pour reprendre le thème de la saison 3…