1er accélérateur des entreprises

Paroles d′expert

« Le rôle des CCI est d’ouvrir le champ des possibles aux entreprises en leur montrant le potentiel et la diversité des usages de l’IA »

Sur tout le territoire, dans le réseau des CCI locales, territoriales et régionales, des experts mettent leurs compétences au service des entreprises. Marc Carbonare, conseiller numérique expert IA/Cybersécurité à la CCI Paris Île-de-France, témoigne de la perception et de l’utilisation de l’Intelligence Artificielle (IA) générative par les PME et les TPE qu’il accompagne. Il dessine, ce faisant, les contours de ce que Reid Hoffman, fondateur et dirigeant de LinkedIn, appelle la révolution cognitive.

Quel a été votre parcours professionnel avant de rejoindre la CCI ? 

Avant d’intégrer la CCI Paris Île-de-France en 2020, j’ai eu un parcours tourné vers l’entrepreneuriat. Cela a débuté par un DEA en économie spécialisé dans l’innovation technologique. J’ai ensuite été dirigeant d’entreprises dans des secteurs d’activité différents : agence de photographie, import-export d’artisanat haut de gamme, création de sites web… L’innovation a été le fil conducteur de toutes ces expériences. D’où mon envie qui s’est affirmée lors de la crise sanitaire du Covid, d’aider les entreprises dans leur transformation numérique.

Marc Carbonare
Marc Carbonare,
conseiller numérique expert IA/Cybersécurité à la CCI Paris Île-de-France

Justement, en quoi consiste votre métier de conseiller numérique expert IA/Cybersécurité à la CCI ?

Ma mission est d’accompagner de façon sereine les PME et les TPE de la région dans la numérisation de leur activité. Cela se traduit par une soixantaine de diagnostics individualisés réalisés chaque année. Ils sont gratuits pour les entreprises car financés par l’Union européenne. Cette prestation qui a pour but d’évaluer la maturité et le niveau de numérisation de l’entreprise peut donner lieu ensuite à un accompagnement d’une journée en entreprise pour aller plus loin. Nous organisons aussi des actions collectives de sensibilisation au digital dans le cadre du programme « 5 jours pour entreprendre » ou d’évènements comme « la journée du numérique ». La dernière en date consacrée à l’intelligence artificielle a rassemblé une centaine de dirigeants et collaborateurs. Nous proposons aussi, une fois par mois environ, des sessions de formation pour une dizaine de participants appelées « les Business cafés du numérique ». 

C’est clairement le sujet de l’IA générative, apparue fin 2022, qui accapare l’attention des entreprises. Pour elles, c’est un train à ne pas rater. D’ailleurs, les deux-tiers de la séquence numérique du programme « 5 jours pour entreprendre » sont consacrés à l’IA. J’en profite à cette occasion pour démythifier le sujet. Contrairement à sa dénomination, il ne s’agit pas d’une forme d’intelligence artificielle mais d’un outil de statistique sémantique, un algorithme connecté à une énorme base de connaissances. Et donc d’un outil qu’il faut apprendre à utiliser.

Quels messages adressez-vous aux PME et TPE pour les convaincre d’avoir recours à l’IA ?

C’est simple : n’hésitez-pas, mettez-vous-y dès maintenant ! Et pour commencer, apprenez à maîtriser des requêtes de l’IA générative que l’on appelle les prompts. 

Deuxième recommandation, passez sans tarder à une IA payante car le potentiel de données et donc la qualité des réponses est sans commune mesure avec la version gratuite, par ailleurs limitée en nombre de requêtes. Ne perdez pas de vue qu’il s’agit là d’un outil de travail et non plus d’un gadget pour passer le temps. Un outil de travail que vous pouvez, par exemple, personnaliser en créant votre propre IA enrichie de votre base de données personnelles et des ressources de votre veille d’informations. Les analyses et synthèses que vous recevrez seront ainsi nettement plus adaptées à votre activité. 

Vous ne serez pas remplacé par l’IA mais par quelqu’un qui l’utilise mieux que vous !

Troisième recommandation : testez la machine en multipliant les types de requêtes pour des besoins diversifiés. Ainsi, vous percevrez mieux le potentiel de l’outil.

Je suis convaincu que cette révolution technologique aura un impact massif sur l’activité économique. Trois quarts des métiers – y compris les cols blancs qui ont évité les conséquences d’autres innovations – vont être affectés par l’IA. Mais comme je le dis aux collaborateurs des entreprises que j’accompagne : vous ne serez pas remplacés par l’IA mais par des personnes qui l’utilisent mieux que vous !

Concrètement, à quoi peut servir l’IA en entreprise ? 

Les cas d’usage sont nombreux et variés. Le rôle des CCI est d’ouvrir le champ des possibles aux entreprises en leur montrant le potentiel et la diversité des usages de l’IA. Et de le démontrer par l’exemple.

L’IA ne se réduit pas à la seule rédaction de réponses à des mails. Vous pouvez générer des tableurs Excel ou des diaporamas de présentation. Mais il est aussi possible, par exemple, de résoudre des pannes techniques d’appareils ou d’explorer des projets de développement ou bien encore de réaliser des projections d’activité.

Les développeurs informatiques sont souvent impressionnés par le temps gagné en confiant le codage à la machine. Il en est de même de la rédaction de fiches de poste ou le tri de candidatures dans des processus de recrutement.

On peut aussi adapter l’IA à un métier en l’utilisant, par exemple comme le fait Air France, pour de la maintenance prédictive. Ce formatage « métier » de l’IA devrait être une forte tendance du développement de l’IA dans les entreprises en 2025. De fait, l’outil permet de valider, très rapidement et de façon irréfutable, l’exploitation d’un grand nombre de données. 

Autre exemple d’utilisation, j’ai accompagné des barmen dans la conception de nouveaux cocktails en sollicitant l’outil pour qu’il propose des associations de saveurs autour d’un ingrédient précis. Précisons que la sélection des réponses repose toujours sur la compétence et le savoir-faire du professionnel qui les évalue.

Conférence IA à la CCI Paris

Quelles sont les principales motivations des PME et TPE qui ont décidé d’utiliser l’intelligence artificielle dans leur activité ? 

Elles cherchent avant tout à gagner en productivité en faisant faire par la machine des tâches qui leur prennent du temps. L’IA allège ainsi les contraintes administratives des artisans et des patrons de TPE en leur donnant la possibilité de confier à la machine la rédaction de mails ou de documents justificatifs avec à l’appui, les références légales requises. Autant de temps gagné pour se consacrer à leur cœur de métier ! La grande innovation attendue pour cette année 2025 sera l’automatisation de tâches plus ou moins complexes, gérées par des agents IA qui se comportent comme des assistants virtuels mobilisant des datas provenant de diverses sources de l’entreprise.

L’intelligence artificielle permet de faire des économies.

Des solutions d’IA se développent dans la restauration pour prévoir plus finement les prévisions d’activité en analysant de façon croisée des datas sur la météo, les évènements organisés dans le territoire et les statistiques de fréquentation de l’établissement. Sur cette base, les professionnels sont en mesure d’adapter au mieux leurs achats de nourriture et leurs effectifs en fonction du nombre de clients pressentis.

À vous entendre, les entreprises qui n’ont pas encore entrepris leur transformation numérique peuvent le faire facilement via l’intelligence artificielle…

Effectivement, car l’IA ne nécessite pas d’avoir des compétences techniques en informatique pour l’utiliser. Ce qui est décisif dans la formulation des prompts, c’est la qualité de la rédaction des requêtes et de l’analyse des réponses fournies par l’outil. Contre-intuitivement, les seniors sont donc souvent plus à l’aise et tirent meilleur parti de l’IA que leurs collègues plus jeunes.

De la qualité du prompt dépend automatiquement la qualité de la proposition rendue. L’expertise et l’expérience du collaborateur lui permettent d’optimiser l’usage de la machine en lui faisant synthétiser ou développer, via la fonctionnalité « canevas » de Chat GPT, un document qu’elle a produit. L’IA contribue ainsi à revaloriser la compétence métier en différenciant les productions creuses et celles de qualité. Je dirais donc que l’outil est inclusif, y compris pour des populations étrangères ne maitrisant pas notre langue.

Quel constat dressez-vous du niveau de maturité numérique des PME/TPE souvent présentées comme manquant de culture et de compétences technologiques ? 

Je pense que les entreprises et leurs collaborateurs sont encore en phase d’absorption ou de digestion du numérique dont le développement s’est accéléré depuis la période du Covid. Il y a encore un effet d’inertie et beaucoup de chemin à parcourir pour l’appropriation du numérique dans les usages professionnels quotidiens.

Quand je demandais aux stagiaires en 2024, deux ans après l’apparition de Chat GPT, combien utilisent l’IA, 80% de personnes déclaraient l’avoir testée au moins une fois. Mais seulement 20 % l’utilisaient tous les jours et 2 % avaient recours à l’IA en version payante.

Il y a donc, notamment pour les CCI, un enjeu fort d’acculturation des PME et TPE aux applications concrètes du numérique pour le business

In fine, considérez-vous que l’IA représente une menace pour l’emploi ou une source d’enrichissement du travail ? 

Le tsunami que représente le déferlement de l’intelligence artificielle entraînera nécessairement des conséquences sur l’emploi dans certains secteurs. Celui de la traduction par exemple, enregistre déjà une baisse de 70% de son activité. Mais bien sûr, inversement, les développeurs informatiques et les datas analystes, eux, n’ont pas de soucis à se faire. On passera donc classiquement, comme avec toute innovation de rupture majeure, par des phases de destruction mais aussi de création d’emplois. 

Mais l’IA va aussi enrichir le travail en entreprise et ce, quel que soit le métier. Par ses réponses, l’IA générative incite les collaborateurs à monter en compétences. Elle fait évoluer leur métier en les invitant à explorer des dimensions d’un sujet auxquelles ils n’ont pas songé ou qu’ils ne maîtrisent pas. Cet enrichissement du travail se fera donc naturellement et avec des bénéfices immédiats.

Mis à jour le 14 janvier 2025