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« L’accessibilité, une obligation légale mais aussi morale »
Sur tout le territoire, dans le réseau des CCI locales et régionales, des experts mettent leurs compétences au service des entreprises. Alors que l’État a mis en place un Fonds territorial d’accessibilité (FTA) pour faciliter l’adaptation des établissements recevant du public (ERP) aux personnes à mobilité réduite, Laurent Moquet, conseiller entreprise à la CCI Caen Normandie dresse, à l’aune de son expérience, un état des lieux de l’application des lois d’accessibilité¹ dans les commerces de proximité.
Quel a été votre parcours professionnel ?

Après avoir travaillé pendant cinq ans dans un cabinet conseil en marketing, je me suis formé au CEFAC, Centre d’études et de formation des assistants techniques du commerce, des services et du tourisme, pour rejoindre ensuite le réseau des CCI en tant que conseiller commerce.
En quoi consiste votre métier actuel de conseiller en entreprise, spécialiste du commerce et des questions d’accessibilité et de transformation des buralistes ?
Pour faire simple, je prends en charge tout type de demandes relatives aux commerces, aux artisans et aux entreprises de services. Cela se traduit par des audits, de l’accompagnement à la mise en place de solutions de développement et le montage de dossier de demande de subvention. Avec un focus sur le traitement des questions d’accessibilité des commerces et sur la transformation des bureaux de tabac en commerces d'utilité locale. Par ailleurs, depuis plus de vingt ans, j’accompagne les communes du territoire dans la mise en place de commissions d’indemnisation amiable entre entreprises et collectivités lors de travaux de rénovation de centre bourg.
Quelle est l’offre de votre CCI en matière d’accessibilité des commerces ?
La CCI Caen Normandie a tout d’abord informé et sensibilisé les dirigeants d’ERP aux obligations légales portant sur l’accessibilité¹ par différents canaux : mails, newsletters, réunions, webinaires... Pour les aider dans la mise aux normes de leur établissement, nous leur proposons un diagnostic gratuit qui analyse l’ensemble des points de non-conformité de la structure². Nous proposons aussi un audit complet avec restitution écrite finançable dans le cadre du FTA. La dernière partie de notre offre est le montage des dossiers ERP soumis à la Mairie et à la Commission Départementale de Sécurité et d'Accessibilité³. L’audit et le montage des dossiers coûtent 500 euros hors taxes chacun.
« Les gestionnaires d’ERP doivent adapter leurs locaux pour les rendre accessibles à tous, mais autant qu’il est possible de le faire. Autrement dit, ils sont tenus de le faire mais ne peuvent pas toujours le faire. »
Je conseille aussi les petites communes du département et les professions libérales, spécifiquement les notaires et les agences immobilières tant pour la mise aux normes d’accessibilité de leurs propres locaux que ceux de leurs clients.
Pourquoi, selon vous, compte-t-on encore un million d’ERP non accessibles alors qu’ils devraient tous l’être depuis 2018 au terme des agendas d’accessibilité programmée⁴ ?
Je vais être franc : le nombre très important d’ERP pas encore accessibles s’explique, assez largement, par l’absence de contrôle dans les très nombreux établissements de catégorie 5. Pour les établissements des catégories supérieures, de plus grande capacité d’accueil, il existe une obligation légale dite « d’achèvement de travaux » pour vérifier la sécurité et l’accessibilité des locaux ce qui n’est pas le cas des ERP de catégorie 5. Deuxième raison, les chefs d’entreprise considèrent les travaux et les aménagements dans leur établissement comme une charge qui ne génère pas assez de retour sur investissement. Ils estiment que cette clientèle fréquente assez peu leur établissement. Mais ceci explique peut-être cela : pas de places de stationnement, pas d’aménagement des locaux n’incitent pas à fréquenter les commerces visés…
Par ailleurs, certes les gestionnaires d’ERP doivent adapter leurs locaux pour les rendre accessibles à tous, mais autant qu’il est possible de le faire. Autrement dit, ils sont tenus de le faire mais ne peuvent pas toujours le faire. Et à ce titre, des dérogations existent applicables en fonction des types de handicap. Un professionnel peut, par exemple, être en mesure de réaliser un certain nombre d’aménagements lui permettant d’accueillir correctement des personnes mal voyantes, des personnes avec poussette ou très âgées. Mais il peut aussi ne pas pouvoir installer des toilettes ou un ascenseur pour pouvoir accueillir des clients en fauteuil roulant et ce, pour des raisons liées à la construction même du bâti, de place disponible à l’intérieur de l’établissement ou de coût des travaux.
Et comment les aider à se mettre en conformité avec la loi ?
Il faut continuer à sensibiliser ! Des opérations récentes comme celles des « Ambassadeurs de l’accessibilité » contribuent à faire prendre conscience que l’accessibilité est une obligation légale mais aussi morale. Ce message porté depuis 2021 par un millier de jeunes en service civique auprès des gestionnaires d’ERP de 5 ème catégorie peut contribuer à rendre leurs établissements plus accessibles et donc plus inclusifs.
Je constater pour ma part une évolution des mentalités. Le vieillissement de la clientèle entraînant une mobilité plus réduite, la prise de conscience que l’incapacité peut toucher tout le monde, la volonté « d’être aux normes » des repreneurs actuels sensibles à l’effet réputation sur les réseaux sociaux et l’obligation de conformité de tout nouveau ERP, font changer les pratiques. Grâce au renouvellement des générations de chefs d’entreprise, l’accessibilité des locaux devrait s’améliorer.
« Cette aide pourrait avoir un impact plus grand si elle n’était pas seulement réservée aux entreprises créées avant le 20 septembre 2023. De fait, on ne prend pas en compte toutes les créations, ni les reprises d’entreprise postérieures à cette date alors que les bâtiments anciens nécessiteraient potentiellement des travaux ou des aménagements »
En parlant de communication, j’invite les dirigeants qui rendent leur établissement plus accessible à faire connaître leur action, voire leur labellisation Tourisme et Handicap dans leur communication digitale mais aussi par une simple vitrophanie. D’ailleurs, des applis existent qui signalent les lieux dont l’accès est possible aux personnes en situation de handicap, aux poussettes ou aux personnes les plus âgées.
Le Fonds territorial d’accessibilité mis en place par l’État en 2023 pour financer la mise en conformité des ERP de 5 ème catégorie peut-il contribuer à accélérer le mouvement ?
L’aide peut certes permettre à des dirigeants de faire financer financer des aménagements assez simples à réaliser comme la mise en place de rampes amovibles et de sonnettes PMR, de barres d’appui ou de la vitrophanie pour améliorer l’accessibilité de leur établissement.
Cependant, j’accompagne des créateurs et des repreneurs d’entreprise qui ont installé leur structure dans des bâtiments anciens nécessitant potentiellement des travaux ou aménagements. Ceux qui ont créé leur entreprise après le 20 septembre 2023 ne peuvent pas bénéficier du Fonds territorial d’accessibilité.
Dans le processus de cession, on constate que le cédant ne remet généralement pas aux normes le local qu’il vend « en l’état » car, psychologiquement, il vend son passé. Alors que le repreneur qui achète son avenir, doit, lui, se mettre en conformité avec la loi… C’est une source potentielle de crispation dans le processus de reprise. Les aides des collectivités locales pour la rénovation des commerces peuvent être une solution pour aider ces repreneurs.
Au-delà de l’objectif premier d’inclusion, l’accessibilité des personnes à mobilité réduite est aussi un enjeu à impact économique. Lancé à la fin de l’année dernière, le FTA pourrait avoir un effet incitatif en vue des événements qui se dérouleront dans notre pays cette année. Les visiteurs à mobilité réduite devraient être nombreux en France pour les JO Paris 2024 mais aussi lors des célébrations du 80 ème anniversaire du débarquement en Normandie.
L’accessibilité des ERP répond tout d’abord à une logique d’inclusion de tous mais n’interroge-t-elle pas aussi la question de l’attractivité des cœurs de ville ?
Tout à fait. Même si l’accessibilité représente un coût à la charge des communes, elle est de plus en plus présentée dans leurs projets d’aménagement de l’espace public comme un facteur d’attractivité commerciale.
Les communes ont toutes l’obligation de mettre en place un Plan d’Accessibilité de la Voirie et des Espaces publics⁵ mais concrètement, on manque d’informations sur les aménagements déjà réalisés et sur les programmations en cours
Concrètement, quand un trottoir n’est pas assez large pour permettre la circulation d’une personne en fauteuil roulant, comment peut-on exiger d’un commerçant que l’entrée de son local soit accessible ! Si le trottoir est constitué de matériaux meubles entravant la circulation des fauteuils ou s’il ne fait pas un mètre quarante de large empêchant, de fait, la manœuvre d’une personne en fauteuil pour lui permettre de rentrer dans un commerce, il y a rupture de cheminement …
1 Loi du 1er janvier 2015 pour l’accessibilité dans les locaux neufs et celle du 10 juillet 2014 pour un ERP existant ou créé dans un bâti existant.
2 Les ERP doivent être « accessibles » aux personnes en situation de handicap (handicaps auditif, mental, moteur et visuel), mais également aux personnes à mobilité réduite (familles avec poussettes, séniors…).
3 La Commission Départementale de Sécurité et d'Accessibilité³, une instance qui a vocation à permettre le dialogue entre les associations de soutien aux personnes en situation de handicap aux attentes légitimes et les représentants des entreprises qui témoignent des contraintes de ces dernières
4 L’Agenda d’accessibilité programmée (Ad’AP) est un document de programmation pluriannuelle qui précise la nature et le coût des travaux nécessaires à la mise en accessibilité. Il n’est plus mobilisable depuis 2018.
5 Le PAVE est un document qui liste les dispositions de la collectivité pour rendre accessible aux personnes handicapées ou à mobilité réduite l’ensemble des circulations piétonnes, des aires de stationnement dans la commune mais aussi l’intégralité du patrimoine immobilier communale : les services de la Mairie, les musées, les salles de sport, les hôpitaux, les établissements scolaires…