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« Créer des passerelles entre le monde économique et l’univers de la science »
Scientifique de formation et de métier, Thierry Payot contribue à la CCI Eure-et-Loir à la diffusion de l’innovation dans les entreprises du territoire. Comme conseiller expert en innovation & bioproduits, il facilite le développement de projets innovants en favorisant les échanges entre les mondes économique et scientifique avec un crédo : toute entreprise peut gagner à innover.
Quel a été votre parcours professionnel ?
« J’ai une formation d’ingénieur en agronomie et suis titulaire d’un Doctorat en biotechnologies. Pur produit de la recherche française, je me suis pourtant, très tôt, tourné vers le monde économique dans le cadre d’un post doctorat consacré à la valorisation industrielle des coproduits de la filière agricole. Après cinq années passées ensuite comme Directeur de laboratoire pour un syndicat professionnel dans le domaine des spiritueux, j’ai fait, en 2006, mon entrée dans le monde consulaire en devenant chargé de mission à temps partagé entre la Chambre d’Agriculture et la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Eure-et-Loir, toujours sur la question de la valorisation des bioproduits. En 2013, j’ai pris la responsabilité du service industrie de la CCI Eure-et-Loir avant d’occuper mon poste actuel qui m’a permis d’élargir le périmètre de mon intervention à tous les domaines industriels et pas seulement ceux de la chimie et des biotechnologies.
Pouvez-vous, justement, présenter vos missions ?
Pour faire simple, je suis devenu l’expert Innovation de la CCI, au niveau du département mais également, en fonction des sujets, au niveau régional. Mon poste de conseiller expert en innovation s’exerce naturellement, et pour environ la moitié de mon temps, dans le cadre de « The Place by CCI 28 », un service dédié aux startups et aux entreprises innovantes du territoire. Cet incubateur de l’innovation a été développé en Eure-et-Loir puis étendu à l’ensemble de la région, signe du savoir-faire de notre CCI dans ce domaine. La marque « The Place by CCI » a d’ailleurs reçu le label européen EU|BIC qui certifie la qualité de la méthodologie des incubateurs favorisant l’innovation et le développement économique.
Mes interventions en entreprise : la détection de projets d’innovation dans des TPE/PME ou ETI primo-innovantes et des prestations dans le déploiement de stratégies d’innovation.
Outre mon activité au sein de l’incubateur, j’effectue diverses missions de conseil et d’expertise directement en entreprise. Il s’agit d’une part, de la détection de projets d’innovation dans des TPE/PME ou ETI primo-innovantes et d’autre part, de prestations dans le déploiement de stratégies d’innovation. J’accompagne ainsi de façon personnalisée et globale une dizaine d’entreprises par an dans la conduite de leurs projets R&D&Innovation. Comme consultant, je contribue à structurer leurs démarches dans toutes leurs dimensions : comment lever les éventuels verrous technologiques qui pourraient compromettre la mise en œuvre de l’innovation dans l’entreprise, identifier des laboratoires de recherche, planifier la collaboration entre les deux partenaires, le dirigeant et le chercheur, en articulant au mieux les temporalités différentes entre le temps court du monde économique et le temps plus long de la recherche, assurer le montage financier et même parfois, aider à recruter des collaborateurs amenés à développer le projet dans l’entreprise.
Pour apporter au dirigeant des réponses les plus précises possibles et repérer les laboratoires mobilisables, je m’appuie sur un comité scientifique pluridisciplinaire composé d’une quinzaine de chercheurs. Ce comité a deux missions : il présente aux entreprises les technologies transposables issues des recherches en cours dans les laboratoires et, inversement, offre aux dirigeants la possibilité d’exposer leurs projets de développement pour lesquels la connaissance scientifique pourrait être mobilisée.
Beaucoup de ces prestations de consulting sont payantes, facturées au prix du marché et entièrement financées par nos clients. Ces clients sont pour 70 % des PME, 20 % des TPE et 10 % des entreprises de taille intermédiaire.
Comment parvenez-vous à susciter l’innovation dans les TPE et PME ?
Je ne leur dis surtout pas qu’ils n’ont pas le choix et qu’il faut absolument innover ! J’essaie de les convaincre de l’opportunité en termes de business de développer de nouveaux procédés de fabrication, produits ou technologies. L’innovation est clairement perçue par les entreprises qui la pratiquent comme une source de différenciation vis-à-vis de leurs concurrents. La TPE ou la PME qui innove ne joue plus dans la même cour que les autres entreprises. Les entreprises innovantes gagnent en performance. Elles donnent aussi corps à leurs engagements en matière environnementale par la production de produits ou de services ayant le moins d’externalités négatives. Cela peut ainsi leur permettre de faire la différence dans le cadre des appels d’offres. Les entreprises innovantes sont aussi plus résilientes en cas de crise.
la Recherche Développement et Innovation n’est pas réservée aux seules ETI ou aux grandes entreprises ! Toute entreprise peut gagner à innover.
Pour encourager cette dynamique de l’innovation, nous les aidons bien sûr à nouer des collaborations avec des centres de recherche en France mais aussi en Europe via les réseaux EEN et EBN. Nous les incitons également à collaborer dans le cadre de leur projet avec d’autres entreprises pour progresser collectivement.
Oui mais l’innovation n’est pas un pari gagné d’avance…
C’est exact. L’innovation reste risquée. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’aborde jamais l’innovation sous l’angle de la recherche de la performance. D’ailleurs, une entreprise peut être performante sans innover mais elle peut, aussi, innover sans que cela n’améliore sa performance... Le premier réflexe à avoir est de vérifier si l’entreprise n’innove pas déjà sans le savoir. L’enjeu pour moi est de chercher à injecter de la science dans les pratiques des entreprises, parfois déjà innovantes, et leur permettre ainsi d’avoir un coup d’avance ! Mon intervention consiste à faire comprendre les phénomènes scientifiques en jeu dans les procédés de fabrication de l’entreprise, ce qui permet ensuite d’ouvrir des perspectives de collaboration avec des universités ou des centres de recherche. Avec un crédo : la Recherche Développement et Innovation n’est pas réservée aux seules ETI ou aux grandes entreprises ! Toute entreprise peut gagner à innover. Elle peut améliorer, par ce moyen, l’efficacité des produits qu’elle propose, réduire ses coûts de production ou identifier de nouvelles ressources pour son activité et répondre ainsi aux exigences environnementales. Ces résultats constatés répondent d’ailleurs aux motivations des entreprises qui nous sollicitent. Ces motivations sont par ordre de priorité : garder, pour celles qui innovent déjà, un temps d’avance sur la concurrence, repenser leur politique d’approvisionnement en anticipant l’évolution de la réglementation, développer de nouvelles technologies au service de leur transition écologique ou pour décrocher de nouveaux marchés.
On ne décrète pas l’innovation ! L’entreprise doit s’y préparer, l’intégrer dans sa stratégie et mettre en place les conditions pour mener à bien une démarche au long cours.
Par ailleurs, puisque vous évoquez le risque que représente l’innovation, je précise que j’aide aussi les entreprises dans le montage financier de leurs projets d’investissement. L’objectif est de mobiliser des ressources financières leur permettant de partager les risques de l’innovation. Rappelons que de nombreux guichets de soutien à l’innovation existent en France comme ceux de Bpi France, des Régions via, notamment, le dispositif CAP RDI de la Région Centre-Val de Loire, ou bien encore ceux de l’ADEME.
À quelles conditions l’innovation peut-elle réussir dans une TPE ou dans une PME ?
La première condition est l’engagement du dirigeant et de ses équipes dans la démarche. On ne décrète pas l’innovation ! L’entreprise doit s’y préparer, l’intégrer dans sa stratégie et mettre en place les conditions pour mener à bien une démarche au long cours. Pour ce faire, elle doit bien évidemment mobiliser une partie de ses fonds propres. Mais le dirigeant doit surtout dégager du temps de travail des collaborateurs pour suivre le projet et vérifier l’adhésion des équipes et leur capacité à travailler en mode collaboratif avec d’autres structures, entreprises ou laboratoires de recherche. C’est aussi le rôle de la CCI de challenger les entreprises sur ces différents axes pour s’assurer que la dynamique d’innovation perdure.
Le territoire est-il un moteur de l’innovation ?
Effectivement, et nous le vivons au quotidien en Eure-et-Loir où se trouve la « Cosmetic Valley », le pôle de compétitivité de la filière des cosmétiques et des parfums. La vocation de ce pôle est de faciliter et de coordonner les échanges entre les entreprises, les centres de recherche, les écoles et les universités du secteur en vue de favoriser le développement de l’innovation. Mais notre démarche ne se limite pas à la filière parfumerie-cosmétique. Nous travaillons, au gré des projets et en fonction de leur contenu technologique, avec des pôles et clusters d’autres territoires, notamment en Île-de-France. Nous avons la même démarche avec les Universités, laboratoires de Recherche et structures comme l’IFPEN, le CEA. L’innovation se nourrit de ces réseaux qui ont un effet d’entraînement et facilitent la mobilisation de financements.
Qu’est-ce qui vous plait particulièrement dans votre métier ?
Clairement, la diversité des entreprises et des projets qu’elles portent. Les secteurs d’activité, les enjeux, les personnalités des dirigeants sont tous très différents. Ce qui ne change pas c’est le recours à la science. Ce que je trouve stimulant et enrichissant, c’est de créer des passerelles entre le monde économique et l’univers des sciences. Les chercheurs y trouvent une application concrète de leurs travaux et les chefs d’entreprise un autre regard sur leur activité.
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