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Olivier Philippot : « Plus les lacunes en matière de prévention seront importantes, plus le risque judiciaire sera grand »
Présentation par Olivier Philippot, avocat en droit du travail, des obligations des entreprises face à la crise sanitaire du Coronavirus (volet 1) et de leur responsabilité juridique dans ce cadre (volet 2).
Installé à Strasbourg, le cabinet d'Olivier Philippot, composé de cinq personnes dont deux avocats et deux juristes, est mobilisé quasi exclusivement depuis deux mois sur les questions juridiques liées à la pandémie de Covid-19. Il intervient pour le compte d’entreprises comptant principalement de 10 à 100 salariés et de tous secteurs d’activités. Leurs demandes portent essentiellement sur la gestion de l’activité partielle et les modalités de continuité et de reprise d’activité.
Quelle est la responsabilité de l’employeur dans le cadre la crise sanitaire du Coronavirus ?
L’employeur doit assumer potentiellement deux types de responsabilité : civile, générant des sanctions financières, et pénale, pouvant se traduire par des condamnations à des peines de prison, l’interdiction de gérer ou la fermeture de l’entreprise. Et il n’y a aucune limite financière dans l’échelle des risques juridiques ! Mais, heureusement, il y a des moyens pour réduire les risques qu’encoure l’entreprise.
De fait, le juge va s’attacher à savoir si l’entreprise a vraiment réalisé et sous quelles formes un travail de prévention qu’elle était tenue de faire. Plus les lacunes en matière de prévention seront importantes, plus le risque judiciaire sera grand. Si l’employeur n’a rien fait et que les conséquences de son inaction sont graves, il peut s’attendre à une condamnation au pénal.
Pour évaluer ce risque judiciaire, on peut rappeler qu’il a différents types de responsabilité de l’employeur tant au civil qu’au pénal.
Un risque financier très lourd
Au civil, il y a tout d’abord, pour les employeurs, le risque de se trouver confrontés à des actions collectives menées par leurs salariés, les représentants du personnel ou l’inspection du travail. Il s’agit de demandes en référé pour ordonner de prendre telle ou telle mesure de protection des travailleurs sous astreinte. Le juge peut décider de l’arrêt de l’activité tant que l’entreprise ne fait pas ce qui lui est demandé. Si l’entreprise s’en exonère et continue son activité, elle devra payer des pénalités. C’est un risque financier très lourd. Il n’est que de voir la récente jurisprudence « Amazon » avec une astreinte fixée à un million d’euros par jour !
Certains syndicats demandent la reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle. Quelles en seraient les conséquences ?
De fait, les entreprises sont exposées au risque d’une reconnaissance de la maladie professionnelle. Si le Covid-19 est reconnu comme telle, le salarié reconnu comme malade bénéficiera automatiquement d’une meilleure indemnisation par l’Assurance maladie. L’entreprise verra, elle, augmenter son taux de cotisation « accidents du travail - maladie professionnelle ». Notons au passage que si le Covid-19 n’est pas reconnu comme maladie professionnelle, il reviendra au salarié de prouver qu’il a été contaminé dans son environnement de travail, ce qui sera plus difficile à faire.
Si le salarié entend aller plus loin, il peut chercher à faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur. La faute inexcusable, si elle est reconnue, pourra entraîner la condamnation de l’employeur à prendre en charge des soins médicaux ou même à verser une rente à vie à son salarié. Pour établir cette faute, le tribunal cherchera à savoir si le chef d’entreprise connaissait le risque et s’il a mis en place les mesures nécessaires pour l’éviter. Pour rappel, cette jurisprudence a été développée dans le cadre des « affaires amiante ». Des employeurs ont été sanctionnés car ils connaissaient la dangerosité de l’amiante pour la santé de leurs salariés mais n’ont rien fait pour éviter la contamination.
La responsabilité contractuelle de l’entreprise peut être engagée par un salarié qui considère son employeur comme fautif.
Considérant que son entreprise ne met pas en œuvre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité au travail, un salarié peut demander au juge la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur ou prendre acte de la rupture de son contrat de travail. Le conseil de prud’hommes appréciera alors la gravité des fautes de l’employeur pour décider d’une condamnation.
Avant de mener une action en justice en ce sens, le salarié peut invoquer son droit de retrait.
Justement, la menace de l’exercice du droit de retrait constitue-t-elle un risque important pour les employeurs en vue de la reprise d’activité ?
Le droit de retrait n’est pas directement un risque juridique en tant que tel mais plutôt un rapport de force à un moment donné. Le chef d’entreprise jugera de l’état des conditions de travail dans l’entreprise pour répondre favorablement ou non au collaborateur qui manifestera sa volonté d’exercer son droit de retrait. L’employeur a deux options dans cas de figure. Soit il considère qu’il n’est pas en faute et que le salarié doit travailler. En conséquence, si ce dernier n’obtempère pas, le chef d’entreprise peut cesser de lui verser son salaire ou le licencier pour insubordination. Soit l’employeur reconnait le bienfondé de la demande du salarié, il prend les mesures pour la reprise du travail de son salarié.
Inversement, on peut rappeler qu’un salarié qui ne respecterait pas, de façon délibérée les consignes et règles de sécurité et de prévention communiquées explicitement et largement à tous les collaborateurs de l’entreprise, s’expose à un risque de licenciement pour faute.
Au titre des risques financiers et pénaux encourus par l’entreprise, l’inspection du travail dans son activité de contrôle des entreprises peut aussi, si les règles de protection ne sont pas respectées, exiger l’arrêt de la production ou délivrer des amendes.
Et qu’en est-il de l’engagement de la responsabilité pénale du chef d’entreprise ?
Soyons très clairs : il s’agit là des cas où l’employeur n’a rien fait ou très peu en termes de prévention, et ce, en toute connaissance de cause ! On peut parler, dans ce cas, de mauvaise foi caractérisée. Au regard de la gravité de la situation actuelle et sur la base des cas dont j’ai eu à connaître, j’estime que peu d’entreprises risquent d’être confrontées à ce risque pénal. Il faudrait parvenir à prouver, d’une part, l’intention délibérée de ne rien faire ou de laisser faire et, d’autre part, le lien de causalité avec des conséquences potentiellement graves de cette inaction pour les salariés.
La probabilité d’un risque pénal est plus faible. Le risque civil, lui, demeure très important.
La responsabilité de l’employeur peut-elle être engagée s’il contraint un salarié pouvant continuer à télétravailler à reprendre son activité dans son environnement de travail habituel ?
Elle pourrait l’être car le télétravail est la solution à privilégier. Mais si l’entreprise justifie de la nécessité économique ou organisationnelle du retour du collaborateur sur son lieu de travail et qu’elle a mis en place les mesures de prévention adaptées, sa responsabilité sera difficilement engagée.
Une entreprise peut-elle, dans sa gestion de la crise sanitaire, collecter des données sur l’état de santé de ses collaborateurs ?
C’est un sujet très sensible. L’employeur n’a pas le droit de demander à ses collaborateurs de lui transmettre des données ayant trait à leur santé. Il n’a donc pas le droit de les obliger à signaler une contamination au Covid-19. Puisqu’il n’est pas censé avoir accès à ces données, il n’a donc pas à les traiter. La seule possibilité qui s’offre à l’employeur c’est de rechercher, via la médecine du travail, si un collaborateur est apte ou non à travailler mais sans avoir à connaître le motif de l’arrêt de travail. Cela relève de la vie privée du salarié.
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Pour en savoir plus :
Le cabinet d'Olivier Philippot