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Les ressources humaines sur tous les fronts et en première ligne pendant la crise sanitaire
La pandémie de la Covid-19 a bridé l’économie et confiné les salariés. Pour continuer malgré tout leur activité, les entreprises ont du inventer ou redécouvrir de nouvelles façons de travailler. Jean-Michel Mathieu, directeur du Master spécialisé Expert RH de la TBS Education1, revient sur les changements des modes et de l’organisation du travail et sur le rôle central des directions des ressources humaines pendant cette période.
Une crise qui pourrait accoucher, selon l’expert de l’école de la CCI Toulouse Haute-Garonne, d’une transformation et d’une (re)valorisation de la fonction RH au sein des entreprises (voir le volet 2).
Quel jugement portez-vous sur l’implication des directions des ressources humaines pendant la crise ?
Elles ont été, à la fois, sur tous les fronts et en première ligne, notamment pour l’interprétation et l’application des dispositifs d’urgence. Elles ont su faire preuve de réactivité et d’adaptabilité dans leur fonction d’interface entre la direction, les managers et les équipes pour affronter cet événement inattendu aux conséquences inenvisageables. Toutes les fonctions RH ont été mobilisées pour gérer la diversité des situations, pour appliquer les protocoles et règles sanitaires, pour organiser des formations à distance, pour continuer à recruter, mais différemment, et à communiquer afin de maintenir les liens entre les collaborateurs et l’entreprise. D’ailleurs, les DRH ont généralement su faire preuve d’empathie dans l’accompagnement des salariés, parfois en détresse, en mettant notamment en place des cellules d’écoute et de soutien psychologiques très précieuses.
Même si l’ampleur de la pandémie n’était pas prévisible, les entreprises avaient déjà été confrontées à des risques sanitaires ou à des cyberattaques. Auraient-elles pu se préparer à cette situation de crise ?
Il est clair que la culture de l’anticipation dans tous les domaines de l’entreprise est peu présente en France. Elle ne fait pas partie de l’ADN des directions qui fonctionnent plus par réaction que par anticipation. Pour autant, je pense qu’il y a eu une capitalisation des crises précédentes, comme celle de la grippe H1N1 ou des agressions informatiques, qui a renforcé la conscience d’un risque global. Cela s’est traduit par l’élaboration de plans de continuité d’activité et de protocoles de santé et de sécurité au travail. À cet égard, la culture du risque est bien inscrite dans l’ADN des DRH qui doivent gérer au quotidien des risques en tous genres, comme en matière de licenciement, de conflit social ou, bien sûr, de santé et de sécurité au travail. La crise sanitaire a bouleversé leur rôle sur un point crucial : les services RH ont été placés en première ligne, au contact direct des salariés et avec des missions et des messages positifs de rassurance et de soutien.
D’exception, le télétravail va devenir la norme
Justement, quels ont été les principaux objectifs assignés aux RH pendant cette crise ?
Les RH ont, d’abord, eu pour priorité de sécuriser le travail des collaborateurs en les informant sur les règles sanitaires et sur les dispositifs de maintien de l’activité et en organisant la généralisation, quand c’était possible, du travail à distance. Très concrètement, il leur a fallu rassurer les salariés sur le maintien de leur activité, de leur rémunération et, parfois même, sur la pérennité de l’entreprise.
Et pour maintenir l’activité de l’entreprise pendant la crise, les DRH ont aussi dû adapter leur mode de fonctionnement en recrutant, formant et communiquant à distance via des plates-formes de visioconférence.
Diriez-vous que la crise a eu un effet d’électrochoc dans la perception du télétravail par les directions d’entreprise ?
On peut effectivement parler d’électrochoc ou de choc culturel concernant l’usage du télétravail. Une enquête de l'ANDRH sur le futur du travail vu par les DRH, réalisée en 2020, montrait bien ce changement de représentation. 8 %, seulement, des entreprises interrogées avaient recours, et partiellement, au travail à distance avant la crise. En juin 2020, 85 % des DRH sondés se déclaraient favorables à la pérennisation du télétravail dans leur entreprise. Le blocage était bien identifié dans les entreprises. Nombre de managers souhaitaient la présence dans les locaux de l’entreprise de leurs collaborateurs. Ce blocage a été levé de fait, je dirais presque de force, par la pandémie. Les directions générales et les managers qui ont pratiqué, eux aussi, le travail à distance, ont pu constater le temps gagné chaque jour par la suppression des déplacements domicile-travail, par ailleurs souvent polluants, et les gains de productivité de l’ordre de 20 à 25%. D’exception, le télétravail va devenir la norme pour nombre d’entreprises.
Les DRH vont devoir passer d’une culture du risque à une culture de l’audace.
Et dès lors, quel pourrait être le rôle des DRH en la matière ?
Le télétravail est clairement un sujet de sociologie des entreprises dont les DRH peuvent se saisir tant du point de vue organisationnel que du dialogue social. Ils ont ainsi l’occasion de repenser les organisations de travail en articulant les temps dans et à l’extérieur de l’entreprise. Les DRH ont l’opportunité de faire preuve d’innovation sociale pour imaginer et faire partager, tant par les directions générales que par les représentants du personnel, de nouveaux modes de travail. Ils devront être tout à la fois plus productifs et plus soucieux du bien-être des collaborateurs. Si les confinements imposés par la crise sanitaire ont révélé les atouts et l’efficacité du distanciel, ils ont aussi souligné l’importance du collectif de travail et de la valeur du présentiel, des échanges entre collaborateurs dans l’entreprise.
Pour prendre l’image du théâtre classique, la crise a cassé l’unité de temps, de lieu et d’action. C’est un fait ! Et je pense que les DRH sont en train d’appréhender la complexité de ces nouveaux équilibres à trouver, non seulement en ce qui concerne les lieux de travail mais aussi en termes de management des collaborateurs et de leur supervision par les managers.
Les DRH qui ont dû faire face à la déstructuration des temps de travail avec les 35 heures, vont devoir dorénavant gérer la diversité de lieux de travail éclatés tout en renforçant le sentiment d’appartenance individuelle et collective à l’entreprise. C’est une belle opportunité pour revaloriser et renforcer la légitimité de la fonction RH. Les DRH ont un rôle à jouer en tant que conseil de la direction générale. Et pour ce faire, ils vont devoir passer d’une culture du risque à une culture de l’audace.
Quid des managers ?
La crise a accéléré une tendance : la prise en compte de l’engagement individuel des salariés et de leur lien à l’entreprise. Les directions générales et, par voie de conséquence, les DRH et les managers vont devoir considérer les salariés comme des parties prenantes de l’entreprise. Et à ce titre, agir sur la santé, le bien-être, l’articulation vie professionnelle-vie privée, le sentiment d’appartenance à l’entreprise et la motivation au travail. Le risque de burn-out et de confusion des frontières entre temps de travail et temps de repos est bien réel. Le regard des managers sur leurs équipes devra évoluer. La relation de travail devrait ainsi être fondée plus fortement sur la confiance et la délégation que sur le contrôle du travail. C’est un changement profond et attendu du rôle des managers qui seront, de plus en plus, jugés sur leur capacité à animer, notamment, à distance leurs équipes. Les managers vont devoir valoriser les compétences transversales ou "soft skills" des salariés même s’ils ne sont pas, pour l’heure, eux-mêmes réellement évalués sur l’optimisation du capital humain.
1Créé en 2003, le Master spécialisé Expert RH de la CCI Toulouse Haute-Garonne forme, chaque année, une trentaine de DRH et de responsables des ressources humaines principalement pour des PME et des ETI.
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