Suggestion d'articles
La distillerie Neisson : l’innovation dans le respect de la tradition
Le rhum Neisson trace sa route avec le souci permanent de l’innovation et dans le respect d’une tradition familiale qui a façonné son histoire. Une distillerie qui porte haut les couleurs du patrimoine martiniquais.
Il a beau avoir les « zepol karé » (comprenez « épaules carrées »), il ne roule pas des mécaniques ! Le rhum martiniquais Neisson qui tient son surnom de la forme rectangulaire caractéristique de sa bouteille aurait, pourtant, les moyens d’afficher sa réussite. La maison Neisson produit l’unique rhum bio de l’Appellation Origine Contrôlé (AOC) de la Martinique et des rhums blancs et vieux appréciés des connaisseurs un peu partout dans le monde et qui trustent les médailles d’or et d’argent dans les plus prestigieux concours agricoles (Paris, Bruxelles, Londres).
Elle est la seule distillerie encore indépendante de l’île (avec la Favorite) et dernière survivante de celles fondées dans l’entre-deux-guerres. Au point, pour ce rhum d’exception installé sur le segment du haut de gamme, d’être victime de son succès. « Nous sommes régulièrement en rupture de stock car, malheureusement, nous manquons de cannes pour produire plus », explique Claudine Neisson Vernant, la propriétaire de la distillerie. La maison Neisson a le succès modeste. Celui d’une maison familiale qui continue d’avancer en ne perdant pas de vue l’héritage de ses fondateurs.
Tout commence par l’intuition d’Adrien Neisson, un commerçant mulâtre de Saint-Pierre dans le nord de la Martinique, qui, en 1931, achète 20 hectares de champs de canne à sucre sans rien connaître de la production du rhum. Le commerçant a le nez creux : le rhum de qualité va s’imposer dans l’île, et au-delà, au point d’en devenir son emblème dans le monde entier. Pour l’aider dans la gestion de la distillerie, il réussit à convaincre son frère Jean qui vient de terminer ses études de chimie à Paris et de revenir au pays. C’est avec ses compétences de chimiste et ses idées visionnaires que Jean débarque dans l’habitation pour produire un rhum agricole(1) qui va vite devenir un produit renommé.
Nous sommes régulièrement en rupture de stock car, malheureusement, nous manquons de cannes pour produire plus
Un terroir béni
Pour y parvenir, se souvient sa fille Claudine Neisson Vernant, « mon père ne transigeait pas sur certains principes, refusant, par exemple, de brûler les cannes à sucre ». Certes, le procédé facilite la récolte et supprime les mauvaises herbes « mais cela modifie aussi le goût du jus de canne qui est ensuite fermenté et distillé pour donner le rhum agricole ». La règle familiale est toujours appliquée à la lettre. Les cannes de la plantation Neisson, qui s’étend sur 42 ha entre les communes du Carbet et de Saint-Pierre, du bord de mer jusqu’au pied de la montage pelée, sont toujours coupées sans brûlage. Elles le sont à la machine pour les parcelles les plus basses et à la main pour les parcelles en pente qui s’élèvent jusqu’à 200 mètres de hauteur.
Un terroir béni pour la culture de la canne à sucre car le climat est très ensoleillé et le sol couvert de pierres ponces. « Les cannes sont les plus sucrées de l’île ce qui développe des arômes subtils ». Pour assurer une qualité organoleptique optimale à leur rhum, les planteurs sélectionnent aussi parmi une quinzaine de variétés, celles qui sont les mieux adaptées aux spécificités du terroir ; des terres sableuses du bord de mer jusqu’aux emplacements tapissés de roche volcanique à flanc de colline.
Les talents du chimiste se sont aussi exprimés dans les process de fermentation. Jean a ainsi produit ses propres levures et adopté le principe d’une fermentation lente qui dure entre trois et cinq jours. Il a ajusté le réglage de la colonne Savalle en cuivre pour parvenir à « une expression subtile et intense des arômes ». Mais le chimiste était aussi respectueux de l’environnement , limitant au maximum les intrants chimiques dans la production de cannes. « On peut même dire qu’il était précurseur de ce que l’on n’appelait pas encore le développement durable », commente sa fille. Et de l’illustrer par l’exemple. Pour rendre à la terre ce qu’elle offrait, il a eu l’idée de produire un compost avec la bagasse, le résidu fibreux du broyage de la canne, et la vinasse, le résidu aqueux de la distillation. Ce compost était ensuite épandu dans les champs pour enrichir le sol. Des pratiques toujours perpétuées comme celle d’utiliser la bagasse comme combustible pour la chaudière. « Un cercle vertueux et de l’économie circulaire avant l’heure ! »
Passage de témoin
C’est avec le souci de préserver cet héritage et ce savoir-faire paternel que Claudine Neisson Vernant a pris les rênes de la distillerie qui devait rester indépendante et dans le giron familial pour exaucer les dernières volontés du fondateur. Mais le passage de témoin ne s’est pas fait naturellement. Médecin hospitalier, spécialiste des maladies parasitaires, rien ne la prédestinait à prendre la suite de son père. Celle qui, dans les années 1980, participait aux recherches sur le SIDA et à l’ouverture du premier hôpital de jour à Fort-de-France, a renoncé à poursuivre sa carrière médicale pour reprendre en 1995 l’affaire familiale en vue de la transmettre ensuite à son fils Grégory. Elle a pu bénéficier des « précieux conseils » des anciens de la distillerie qui, par la suite, se sont occupés aussi de l’apprentissage de son fils, en lui transmettant oralement des savoir-faire rarement écrits en Martinique.
C’est à 22 ans, après son école de commerce à Paris, que Grégory est revenu sur l’île pour épauler sa mère et s’investir dans la gestion de la distillerie au point d’en devenir le directeur. Comme son grand-père, il a voulu, lui aussi, innover dans le respect de la tradition. Il a ainsi poursuivi la codification des process de fabrication pour préserver le patrimoine de l’entreprise. Il a aussi innové en réussissant à produire en 2016, après vingt ans d’efforts, le premier et unique rhum bio de l’AOC Martinique. « Produire du bio en milieu tropical et en conformité avec le cahier des charges de l’AOC, c’est extrêmement difficile », reconnaît, non sans une légitime fierté, la maman. Un coup de maître qui ne restera pas un coup d’essai puisque l’entreprise familiale entend, à terme, convertir progressivement toutes ses parcelles en bio.
Les écossais ont bien leur whisky…
Nul doute que les Martiniquais et les touristes, qui visitent en nombre chaque année la dizaine de distilleries présentes sur l’île dans le cadre du « spiritourisme »(2), y seront sensibles. Les Ecossais ont bien leur whisky. Les Martiniquais veulent, à leur tour, faire de leur emblème patrimonial un produit d’appel pour promouvoir conjointement la destination et l’activité rhumière. L’occasion pour la maison Neisson d’expliquer ses procédés de fabrication et, même, de révéler les secrets de la culture de la canne à sucre. « La clé d’un bon rhum, c’est la fraîcheur de la canne : elle doit avoir le pied en terre et la tête dans le moulin », confie la propriétaire. Une façon illustrée d’expliquer la production du rhum qui se fait en continu, de la récolte de la canne à sa distillation, et de février à juin. Le reste de l’année est consacré au nettoyage et à l’entretien des machines.
Il apparaissait donc naturel pour la distillerie Neisson, qui a reçu en 2018 le label entreprise du patrimoine vivant(3), d’ouvrir également ses portes à l’occasion des journées européennes du patrimoine des 20 et 21 septembre 2019. Pour respecter le thème « arts et divertissements » de cette édition 2019, la maison Neisson va exposer les créations d’un sculpteur martiniquais Jean-Luc Toussaint qui conçoit des œuvres de grande taille, uniquement à l’aide de matériaux issus de l’industrie. Les visiteurs pourront notamment admirer un coupeur de canne, un coq - animal emblématique de l’île - et un hippocampe. Des animaux qui seront aussi représentés par le grapheur, Philippe Baudelocque dont les fresques seront exposées sur les murs de la fabrique. Et, côté divertissement, les enfants admireront les poissons caribéens dans le grand aquarium de la distillerie.
Fiers de leur rhum
Une distillerie qui est aussi, aux yeux de la propriétaire, « une forme d’art » évoquant les charpentes de type Eiffel, la cheminée ou la colonne Savalle. Ces journées du patrimoine sont aussi l’occasion de se souvenir de l’importance et de la prégnance de la canne à sucre dans l’histoire de l’île. La canne à sucre a façonné la Martinique au plan économique, social et culturel. Les peintres, les conteurs, et les cuisiniers insulaires ont été inspirés par la production du rhum.
Si les plantations ont dessiné le paysage de l’île, elles ont aussi, rappelle Claudine Neisson Vernant, marqué douloureusement le pays. « Il ne faut rien oublier du labeur des esclaves dans les champs de canne. » Mais les Martiniquais se tournent aussi vers l’avenir. « La reconnaissance de l’appellation d’origine contrôlée qui valorise la qualité et la singularité du rhum produit sur l’île est un facteur de résilience pour les insulaires. » Les Martiniquais peuvent, aujourd’hui, être fiers de leur rhum. « L’image de la canne maudite a laissé la place à celle d’une eau de vie qui fait partie de notre patrimoine. » Un emblème, étendard de l’île, que la distillerie Neisson porte haut et loin…
(1) Le rhum agricole n’est réalisé qu’avec du jus de canne et non de mélasse (sous-produit de la production du sucre), ce qui est le cas de 90 % des rhums, dits industriels, produits dans le monde.
(2) Le « spiritourisme », opération de promotion touristique du rhum martiniquais, a accueilli 700 000 visiteurs en 2018 et vise le million à l’horizon 2022 (source : comité martiniquais du tourisme)
(3) Le label d'Etat EPV « met à l'honneur les maisons qui revendiquent un patrimoine économique spécifique issu de l'expérience manufacturière, la mise en œuvre d'un savoir-faire rare reposant sur la maîtrise de techniques traditionnelles ou de haute technicité, et enfin l'attachement à un territoire ».
La Distillerie Neisson
La distillerie Neisson est implantée au nord-ouest de l’île, au sud de Saint-Pierre sur les communes de Saint-Pierre du Carbet.
La distillerie Neisson est la plus petite des sept distilleries agricoles « fumantes » (c’est-à-dire en activité) de la Martinique. L’île est le seul territoire à pouvoir revendiquer une Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) reconnaissant la qualité et l’authenticité de ses rhums.
Production annuelle : 400 000 litres soit 2.1% de la production de l’AOC
Chiffre d’affaires : 3 millions d’euros dont 20% en métropole, Europe et à l’international.
Distribution : positionné sur un segment haut de gamme, le rhum Neisson est distribué en Martinique, et, via des enseignes d’épicerie de luxe ou des importateurs spécialisés, en métropole, en Europe (Italie, Espagne, Suisse ) et à l’international (Etats-Unis, Nouvelle-Calédonie, Japon).
Effectifs : 19 permanents et 23 saisonniers