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Achats responsables : passer du moins-disant au mieux-disant
Le prix n’est pas tout et il a souvent des coûts cachés pouvant, in fine, alourdir la facture pour le client et l’impact du produit sur l’environnement et la société. L’achat responsable est une démarche qui invite les acheteurs, d’entreprise ou d’administration, à avoir une vision précise du coût total global des prestations de leurs fournisseurs. L’objectif : trouver l’offre la plus avantageuse économiquement en passant au crible les impacts environnementaux et sociétaux d’un produit sur l’intégralité de son cycle de vie et encourager ainsi des pratiques plus vertueuses.
Qu’est-ce qu’un achat responsable ?
Selon l’Afnor, c’est « un achat de biens ou de services auprès d’un fournisseur ou d’un prestataire sélectionné pour minimiser les impacts environnementaux et sociétaux, et favoriser les bonnes pratiques en termes d’éthique et de droits humains ». Cette définition a pour avantage d’embrasser toutes les dimensions associées à cette pratique qui concerne les entreprises comme les administrations.
L’achat responsable n’est donc pas seulement un achat éco-responsable. Il prend certes en compte les caractéristiques environnementales du produit ou du service — circuits courts, produits éco-conçus, économies en eau ou en énergie lors de la production — mais aussi les aspects sociaux et éthiques de l’activité du fournisseur en intégrant, par exemple, dans le marché une clause d’insertion pour privilégier le recours des prestataires de l’économie sociale et solidaire (ESS).
Cadre de référence des démarches d’achat responsable, la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise (RSE) est, rappelons-le, apparue au début des années 2000 dans les grands groupes. Sous l’impulsion de l’Union européenne, les entreprises ont été invitées à contribuer aux enjeux de développement durable et à avoir un impact positif sur la société tout en étant économiquement viables. La loi « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010 sur l’environnement a contraint les entreprises à dresser un rapport de leurs actions en matière de RSE. Et dès 2006, le code des marchés publics a obligé les acheteurs à prendre en compte les objectifs de développement durable dans le choix de leurs prestataires et fournisseurs. La loi « Climat et résilience » du 22 août 2021, via son article 35, leur a même offert la possibilité d’écarter des appels d’offres des entreprises qui ne respecteraient pas les critères de la RSE.
L’achat responsable est bien une démarche pérenne. En témoigne, la nouvelle directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui va contraindre les entreprises de plus de 500 salariés (dès 2025) et celles de plus de 250 salariés (en 2026) à publier un rapport de « durabilité ». 50 000 entreprises européennes seront, à terme, tenues de rendre compte de l’impact de leur activité sur la société et l’environnement et de la traduction des enjeux de durabilité dans leur structure.
Des achats responsables, pour quoi faire ?
L’Organisation des Nations Unies liste pour 2030 des objectifs de développement durable :
- promouvoir l'économie circulaire, prévenir les déchets
- réduire le gaspillage
- protéger le biodiversité, limiter la déforestation
- réduire l'impact climatique, énergétique, la gestion de l'eau, la pollution de l’air
- promouvoir l'égalité femmes-hommes, les droits de l'Homme
- promouvoir l'insertion des personnes éloignées de l'emploi
- garantir une rémunération équitable
- améliorer l'accessibilité des personnes handicapées.
Concrètement, un acheteur public ou privé pourra décliner ces objectifs en critères de choix pour ses marchés en analysant précisément les processus de production du candidat :
Pour l’accueil dans l’entreprise : la politique de formation et de gestion des compétences de l’entreprise soumissionnaire
Pour le nettoyage des locaux : le choix de produits respectueux de l’environnement et éco-labellisés
Pour une prestation de traiteur : le mode de transport des denrées (type de flotte automobile), la réduction des déchets ou la volonté de faire travailler le personnel en situation de handicap d’un ESAT ou des travailleurs en milieu carcéral
Pour le choix d’un opérateur de téléphonie : l’implantation du service après-vente ou la réparabilité et le recyclage des téléphones en fin de vie
Les avantages de l’achat responsable
Les avantages de la démarche se mesurent sur le moyen et long terme. L’entreprise qui entend s’affranchir de la pure recherche d’économies à tous les étages raisonnera en termes de coûts plus que de prix. « Un tee-shirt fabriqué en France à base de fibres PET issues de plastiques recyclés coûtera certes deux fois plus cher qu’un produit d’entrée de gamme importé d’un pays à bas coûts mais durera quatre fois plus longtemps, explique Christelle Richy, conseillère économie circulaire à la CCI Grand Est, sans oublier l’image positive véhiculé par cet engagement de l’entreprise dans le choix du produit. » Le raisonnement a été formalisé par les acheteurs qui privilégient le coût total de possession (CTP) d’un bien ou service. Au prix d’achat à court terme, ils privilégient le coût total de l’acquisition, en scrutant tous les coûts cachés, de la production à l’élimination du produit. Les entreprises qui font le choix de cette méthode l’appliquent à tous leurs achats. La direction achat d’une entreprise, fonctionnant par nature de façon transversale, peut être un levier de mobilisation collective autour d’un projet fédérateur d’entreprise dont la mise en œuvre est perceptible très concrètement et quotidiennement par les collaborateurs.
Les conditions de sa réussite
Une entreprise, une administration ou un établissement public qui souhaite traduire ses engagements en matière de RSE dans ses achats peut se poser trois questions simples :
où, comment et par qui le bien ou le service est-il réalisé ?
Pour mettre en œuvre une démarche d’achat responsable, trois réflexions sont à mener par le donneur d’ordre :
- Quels sont les enjeux environnementaux, sociétaux et économiques associés à mes achats ?
- Quels sont les engagements des fournisseurs sur ces thématiques ? Leurs valeurs sont-elles conformes à celles inscrites dans ma stratégie RSE ?
- Comment maintenir des relations durables entre tous les acteurs de la chaîne (du donneur au client en passant par le fournisseur) ?
À l’image de la CCI Grand Est, les CCI peuvent aussi contribuer à l’émergence ou au développement de démarches d’achat responsable. Outre l’accompagnement individuel et collectif des PME par un consultant et l’organisation de webinaires à succès (une centaine de participants à chaque fois) sur les achats responsables, la CCI Grand Est anime également un club « achat durable à destination des entreprises » pour contribuer aux échanges de bonnes pratiques entre acheteurs du territoire. L’occasion de créer une dynamique entre professionnels dont le métier a évolué.
Plus exigeantes et plus chronophages car elles invitent les acheteurs à repenser complètement leurs grilles d’analyse, les démarches d’achat responsable valorisent leur rôle. Les responsables « achats » trouvent dans l’entreprise une nouvelle légitimité : de chasseurs de prix, ils deviennent des gardiens de la politique RSE et des créateurs de valeur ajoutée !
L’achat responsable, avec quelles motivations ?
Analysées par le baromètre des achats responsables 2021¹, les motivations des acheteurs sont logiques. Avec dans l’ordre : le respect de la réglementation (lutte contre la corruption, devoir de vigilance…), contribuer aux engagements RSE de l’entreprise, maîtriser les risques environnementaux, améliorer la relation avec les fournisseurs (en réduisant notamment les délais de paiement) et maîtriser les risques sociaux. Pourtant prégnante pendant la crise du Covid-19, la question de la maîtrise de l’approvisionnement pour éviter les risques de rupture de produits et mieux tracer leur origine n’apparait pas comme la motivation première des entreprises en matière d’achat responsable.
Il est à noter que les priorités de choix des acheteurs varient en fonction de leur structure¹. Si les grandes entreprises sont, avant tout, vigilantes face aux risques de corruption, les PME entendent valoriser prioritairement les engagements sociaux de leurs fournisseurs quand les administrations et les établissements publics veulent, en premier lieu, valoriser l’accès des PME aux marchés publics.
Et, dans les conjonctures économiquement tendues, notamment en période inflationniste, le prix reste un élément décisif du choix, l’emportant parfois sur la recherche d’économies plus pérennes... « Les donneurs d’ordre font des arbitrages en fonction, bien évidemment, de leurs moyens mais aussi de leurs orientations en termes de RSE », explique Christelle Richy. Un candidat faisant travailler un ESAT employant des travailleurs en situation de handicap pourra ainsi être retenu, même si l’établissement et service d’aide par le travail en question ne s’approvisionne pas en produits bio.
Acheter responsable, local, français ou à PME/TPE, quelles différences ?
« Il faut être très clair : les directives européennes interdisent la préférence nationale ou locale dans l’attribution des marchés publics » rappelle Pauline Litzler, juriste Droit public à CCI France, « ce qui n’empêche évidemment pas, en vertu des objectifs de RSE de l’entreprise, de privilégier un candidat installé en proximité susceptible de respecter plus facilement les exigences environnementales en termes de circuits courts. »
Par ailleurs, les acheteurs publics sont tenus « d’allotir » leurs marchés en autant de lots correspondants à des prestations spécifiques, et ce afin de permettre à des PME ou TPE spécialisées de pouvoir y répondre. Cela évite ainsi de favoriser les plus grosses structures, déjà avantagées par leur surface financière et la valorisation de leurs labels environnementaux ou sociaux. « Aujourd’hui, il n’est clairement plus possible pour une entreprise de candidater à des marchés publics si elle n’a pas réfléchi aux impacts sociaux, environnementaux et éthiques de son activité » résume Pauline Litzler. Pour rappel, en 2020, les achats publics pesaient 100 milliards d’euros. Les PME ont décroché 58 % de ces appels d’offres en propre, en co-traitance (avec une ou plusieurs autres PME) ou en sous-traitance.
Si elles sont moins contraintes dans la passation de leurs marchés que le secteur public, les entreprises privées se mettent pourtant aux démarches d’achat responsable pour se mettre en conformité avec les nouvelles réglementations et pour adresser à leurs clients, salariés et fournisseurs des messages positifs traduisant leurs engagements sociétaux. « Je constate que les PME que j’accompagne dans le cadre de notre action régionale en partenariat avec Climaxion interrogent de plus en plus, via des systèmes d’évaluation et de notation comme EcoVadis, leurs fournisseurs sur le cycle de vie de leurs produits et sur l’impact de leur activité sur l’environnement, confirme Christelle Richy, conseillère économie circulaire à la CCI Grand Est, avec à l’esprit l’amélioration de leur empreinte carbone et l’installation d’une relation partenariale plus durable avec leurs prestataires ». Les dirigeants adeptes de l’achat responsable entendent, estime Christelle Richy, « répondre ainsi aux attentes de leurs clients, particuliers comme entreprises, mais être aussi cohérents entre leurs convictions personnelles et leurs pratiques professionnelles ».